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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 13:53

par Jean-Claude Barbier (sociologue), causerie du lundi 14 novembre 2011 au groupe "Religions" du Réseau d'échanges réciproques des savoirs (RERS) de Gradignan-Malartic.

se_moquer_des_croyances_des_autres.jpg

 

Les dieux titulaires qui protègent les familles, les clans, les tribus, les cités.

 

Ils sont protecteurs, épousent les intérêts du peuple qu’il protège contre ses ennemis. Ils sont providentiels, intervenant à propos. Ils sont supposés être justes et, s’il y a catastrophe, c’est parce que peuple a péché, commis des fautes rituelles, et qu’il n’a pas respecté l’alliance sacrée. Sauf exception, la justification est toujours du côté des dieux : Job, qui accuse Dieu d'injustice, fait exception ! Dans ce contexte, on peut dire que les dieux aiment leur peuple ; du moins préfèrent-ils le peuple qu’il protège aux autres !
Ceci dit, en cas de grave défaite, le peuple peut se détourner de son ou ses dieux dont la protection s’est avérée insuffisante et se convertir à d’autres dieux censés être plus puissants. Les dieux peuvent donc être abandonnés ! ne plus servir à rien !


Les dieux aphrodisiaques

 

Des divinités ont comme fonction principale d'inspirer l’amour sexuel. Dans l’Antiquité, on pensait que des dieux et des déesses jetaient comme un sort l’amour sexuel (Eros) au cœur des hommes. Ainsi le dieu Cupidon, la déesse Aphrodite, etc. Cela va d’ailleurs dans le sens de la bonne reproduction de l’espèce humaine. En quelque sorte des dieux aphrodisiaques dont les interventions expliquaient les mystères de l’amour humain lorsque celui-ci est soudain, éperdu, fatal, etc. Bref, des dieux romantiques !


Les dieux de la morale universelle

 
Le Dieu des monothéismes devenant le seul Dieu existant, celui existe désormais pour tous les humains sans exception. L’amour universel comme règle de vie, et non plus seulement la solidarité tribale. Les conseils de Jésus ouvrent à cet universel : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ; aimez votre prochain comme vous-mêmes ; aimez vos ennemis. La religion dépasse ici les clivages ethniques et politiques. La morale peut devenir universelle. C’est l’Eglise universaliste (fin XVIII° - 1961) qui, dans la logique chrétienne, a été la plus loin en ce sens : la rédemption vaut pour tout le monde, y compris les non-croyants et les méchants ! A ne pas confondre l’internationalisation d’une religion, à savoir son expansion géographique) avec son universalisme (l’accès de tous aux biens sacrés). Les chrétiens unitariens, à la suite du théologien Faust Socin au début du XVIIème siècle, ont eux aussi supprimé l’Enfer. 


D’autres religions encouragent aussi à cet universalisme : la Foi Baha'i prône cet amour universel et considère l’Humanité comme une grande et même famille ; également les mouvements soufis ; etc.


Les dieux tout entiers dans leur fonction ou caractère principal

 

Il arrive que les dieux soient définis non plus tant par leur identité, leur nom propre, que par leur principale fonction (cas des dieux grecs de l'Olympe ou encore les divinités du vodoun) : le dieu de la guerre, le dieu de l'amour, le dieu de la sagesse, etc. ; ou encore par leur caractère dominant : la violence, la douceur, l'amour, etc.


Il y avait déjà les adjectifs qui était accolés au nom de dieu dans l'Ancien Testament : le dieu Eternel, le dieu Tout-Puissant, le dieu des Armées, etc. Traduisez, Dieu qui est Tout-Puissant, etc. Avec les textes johanniques on a un dieu qui EST (tout entier) Amour ; l’amour étant ici une définition ontologique. Dieu n’aime pas de temps à autres, selon la piété de son peuple, selon les évènements, mais c’est un amour constant, inconditionnel, qui n’est plus lié aux attitudes de ses dévots. Il est comme le soleil qui, par définition, donne chaque jour sa lumière.
« Dieu est amour » 1 Jean 4:8,
« Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. » Jean 3:16,
« Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. » Romains 5:8.

 
N’y a-t-il pas là un anthropomorphisme évident, les hommes projetant leurs propres sentiments sur Dieu : amour sexuel, amour maternel, parental et filial, amour fraternel, etc. Pour Jean l’évangéliste, de sa propre liberté, parce qu’il nous aime, parce qu’il est tout entier Amour, Dieu a donné son Fils unique, son Fils Bien aimé, pour « enlever » nos péchés (le Péché originel selon Paul, plus les autres péchés) par un acte rédempteur qui est passé par sa mort et sa résurrection. Dès lors, Dieu (le Père) prend l’apparence de Jésus : c’est lui qui accueille les hommes. On aboutit à une haute christologie où Jésus prend nettement le pas sur Dieu ; du moins c’est lui que l’Eglise chrétienne présente en priorité aux foules, porté par sa mère ou encore enseignant ou encore subissant les outrages de sa Passion, etc.


Les textes johanniques, à la fin du 1er siècle, en proclamant cette nature aimante de Dieu, constituent une véritable révolution. Il s'agit en effet ni plus ni moins d'une sortie de l’Alliance : Dieu ne pose plus de conditions ; il agit selon ce qu’il est ; il donne son Fils gratuitement. Il n'y a plus de pacte entre Dieu et les Hommes avec des droits et des devoirs, mais une décision unilatérale de Dieu qui s'impose à tous. Dans le prolongement de ce qu'avait dit et fait Jésus, Paul invite à une sortie de la Loi ; et l'évangéliste Jean à une sortie du Pacte.

 

Les protestants du XVIème siècle s’empareront des textes de Paul pour fonder une théologie du salut par la Grâce indépendamment de nos œuvres et de nos pratiques religieuses. Avec la prédestination, Jean Calvin nous explique, à la suite de saint Augustin, que Dieu détermine en toute souveraineté et arbitraire ceux qu'il sauve ... et aussi les mécréants qui refusent sa Loi (et qui iront en enfer !). 

 

Un Dieu paternel, un Dieu maternel, un Dieu compatissant ... mais dont on ne comprend plus l'absentéisme vis-à-vis des grands drames de la Nature, vis-à-vis d'une faune qui s'entre-dévore et des dévôts qui s'entretuent et tuent les autres au nom même de Dieu, vis-à-vis de toutes les guerres et massacres. Indéniablement, le modèle théiste est remis en cause.


Dieu serait-il une force de la Nature ? une énergie ?

 

Paradoxalement, cette définition de Dieu par son caractère anthropomorphique dominant ou total - l’amour - projette Dieu dans un statut qui n’est plus celui d’une personne douée de volonté, faisant des choix, intervenant ou s’abstenant, nouant ou déliant les fils de nos destinées. Il n’y a plus rien à négocier avec un tel dieu puisqu’il est stable dans son humeur et sa volonté ; en quelque sorte statufié.

 

Mieux, il émane de la figure divine une énergie qui coule à flot intarissable. En proclamant Dieu Amour, les textes johanniques, paradoxalement, annoncent un Dieu qui fait corps avec sa Création, qui l'imprègne de son énergie vitale. Nous pouvons dès lors basculer dans le panthéisme.

 

Le panthéisme considère Dieu d’une toute autre façon que ne le fait le théisme - lequel personnifie Dieu -  ; il présente un divin désormais sans visage - ou aux aspects divers, multiples à l'infini - avec l'idée d’une énergie qui est immanente à la Nature ; une présence interne comme l’est l’ADN pour les êtres vivants. Une poussée de l’intérieur nous invitant sans cesse à plus d’amour, à plus de fraternité … et ceci depuis le big-bang initial !

 

Le panenthéisme, réintroduit le dieu des théistes dans le débat, en ajoutant que Dieu existait avant les commencements, qu’il reste donc transcendant à sa Création.


Cela nous invite en tout cas à une reconsidération des religions de la Nature qui divinisaient les éléments naturels plein d'énergie : la Montagne, la Tempête, le Tonnerre, la Mer, etc., en leur donnant toutefois - comme chez les Grecs - un visage anthropomorphe. Les "païens" espéraient ainsi amadouer ces forces afin qu'elles se calment. Mieux, avec le chamanisme, il y eut la recherche d'une complicité entre l'homme et ces éléments, une sorte d'osmose sacrée, une fusion temporaire dont témoignent les masques car celui qui les porte EST le génie ou le dieu ainsi représenté et qui se manifeste. Dans les religions sacrificielles comme chez les Aztèques, le sang des êtres humains sacrifiés servait à régénérer la vie, comme un carburant indispensable pour la vitalité des dieux et des hommes.

 

Pour les lecteurs des textes johanniques, les paroles du Christ sont comme de l'eau vive que l'on boit et qui donnent la vie éternelle, un bain de jouvance, un renouveau de notre être. La relation à Dieu est celle d'un amour mystique, d'une fusion acceptée et désirée. Les religions à mystère contemporaines du christianisme naissant promettaient elles-aussi une telle union sacrée.

 

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 04:46

suite et fin des articles précédents

 

mohammed_taleb_sciences_et_archetypes.gifMohammed Taleb a dirigé " Sciences et Archétypes. Fragments philosophiques pour un ré-enchantement du monde. Hommages au Professeur Gilbert Durand ". Paris : Dervy (2002) et est l’auteur de nombreux articles sur l’éducation relative à l’Environnement et la théologie. Il est un collaborateur du Monde des Religions.


(2011). Tagore, l’Europe et l’Universel. Pour une approche goethéenne du dialogue des cultures (en collaboration avec Nathalie Calmé). Rencontre avec l’Inde, Conseil Indien pour les relations Culturelles, tome 40, 1, 39-63.
(2011). La révolution des Béguines. Le Monde des religions, 46, mars-avril, pp. 6-11.
(2010-2011). A l’époque de la mondialisation capitaliste, trois défis pour l’éducation relative à l’environnement : l’écopsychologie, l’écodéveloppement et l’écosocialisme. Education relative à l’environnement. Regards - Recherches - Réflexions, 9, 25-44.
(2010). « Les religions au chevet de la nature ». Le Monde des religions, 39, janvier-février, pp. 6-11.
(2009). Philosophie du procès d’Alfred North Whitehead et éducation relative à l’environnement. Pour de nouveaux paradigmes. L’Art du Comprendre, 18, pp. 197-205.
(2009). Les fonctions symboliques des Anges. Le Monde des religions, 38, novembre-décembre, pp. 36-39.
(2009). Le ré-enchantement de notre rapport au monde : une valeur centrale de l’éthique subversive de l’éducation relative à l’environnement. Education relative à l’environnement. Regards -Recherches - Réflexions, 8, 75-89.
(2008). Itinéraires d’une féminité spirituelle, écologique et rebelle. La Chair et le Souffle, volume 3, 1, 24-32.
(2008). L’éducation relative à l’environnement contre la modernité capitaliste. Une contribution politique  au ré-enchantement du monde. Education relative à l’environnement. Regards –Recherches - Réflexions, 7, 277-289.
(2008). Entre logos et mythos. Ré-enchanter notre relation au monde. Education Environnement CH, 1, février, 10-11.
(2007). Une théologie musulmane du Process est-elle possible ? Est-elle nécessaire ? dans  Bourgine, Benoît, Ongombe, David et Weber, Michel (sous la direction de), Regards croisés sur Alfred North Whitehead. Religions, Sciences, Politiques, Francfort : Ontos Verlgag.
(2007). Les conditions d’émergence de la crise socio-environnementale. dans Kristof-Lardet, Christine (sous la direction de), Ecologie, spiritualité : la rencontre. Des sages visionnaires au chevet de la planète (69-73). Gap : Yves Michel.
(2006). Une trajectoire juive contre le sionisme. Entretien avec Israël Shahak, président de la Ligue israélienne des droits de l’Homme. Paris : Le singulier universel.
(2006). Economie Sociale et Solidaire, Imaginaire, Coopération et Territoire. Coopérer, partager, se relier. Compte-rendu du 2ème Forum de l’économie solidaire en Val de Drome, organisé par la Communauté de communes du Val de Drome, les 25 et 26 novembre 2005, à Eurre, 34-38.
(2005). L’Imagination créatrice comme valeur centrale d’une pédagogie enchantée relative à l’environnement. Chemin de Traverse, revue transdisciplinaire en éducation à l’environnement  le , 2, décembre.
(2004). L’un et le pluriel. La théologie négative comme condition du dialogue interreligieux ». dans Islam-Dharma (pp. 31-37).  Arvillard : Prajna.
(2003). Contribution au livre Les métamorphoses de Dieu, de Frédéric Lenoir. Paris : Plon.
(2002). De la critique nécessaire de l’idéologie méditerranéenne. AutresTemps. Cahiers d’éthique sociale et politique, 73, printemps, 19-27.
(2000). Enjeux et perspectives de la théologie arabe chrétienne de la libération », Louvain-la-Neuve, Alternatives Sud, Vol. VII, 1, pp. 127-162.
(1999-2000). Visages du sionisme chrétien. Essai d'interprétation historique et théologique. Revue d'études palestiniennes, 21, automne, pp. 46-57 et 22, hiver, pp. 65-83.
(1999). L’Hégire de Jean Grosjean. L’Oeil-de Boeuf, 18, juin, pp. 85-94.
(1999). L’Orient. Entretien avec Jean Grosjean. L’Oeil-de-Boeuf, 18, juin, pp. 95-105.
(1999). Le fond araméen. Entretien avec Stanislas Breton. L’Oeil-de-Boeuf, 18, juin, pp. 113-122.
(1997). Foi chrétienne, mémoire antiochienne et renaissance arabe. Entretien avec Boutros Hallaq. Paris : Le singulier universel.
(1996). Jalons vers une modernité arabo-musulmane. Etudes théologiques et religieuses, tome 71, 1, pp. 47-54.
(1995). La Bible, le mythe et l’histoire. Entretien avec Françoise Smyth-Florentin. Paris : Le singulier universel.

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 04:11

suite de l'article précédent


Sa lettre du 12 novembre 2011


Bonjour à tous et à toutes, Je tiens, tout d’abord, à vous remercier pour le temps consacré à la lecture de cette lettre et, je l’espère, du document qui l’accompagne et qui est en fichier attaché [ndlr – publié en première partie, lien]. La raison principale qui préside son envoi se rapporte à la présentation d’un projet en cours de réalisation, projet consacré à une contribution singulière au dialogue interreligieux en général et au dialogue islamo-chrétien en particulier. Si je parle de singularité, c’est parce que la proposition que je soumets (et qui se décline en conférences, journées de formations et formation à distance) prend racine dans un parcours de 20 années d’expériences dédiées à ce dialogue précisément.


Mais tous les dialogues interreligieux ne sont pas éthiquement semblables et ce qui domine dans ce domaine est loin d’être à la hauteur des situations de crise que nos communautés et sociétés traversent. Lors de ces dialogues, selon les situations, soit nous échangeons de « bons sentiments », où chacun projette ses propres convictions, mais sans entrer réellement dans le logos de la parole de l’autre ; soit nous construisons des convergences interreligieuses conservatrices, par exemple autour de questions sociales et morales, comme celles qui se rapportent à la famille ou la sexualité ; soit nous fabriquons une espèce de rencontre entre nos familles spirituelles, à l’ombre de ce qui est médiatiquement correct (comme, pour l’islam, avec ce fameux « islam des lumières »), tout cela dans l’optique d’une soumission à la modernité capitaliste » et au « désenchantement du monde », pour utiliser les concepts de Max Weber.


Il convient donc, avant toute chose, de me présenter et de situer le lieu à partir duquel ma propre parole émerge. Si le musulman que je suis devait poser des mots clés sur une démarche de foi et d’action, je dirais que le dialogue interreligieux et islamo-chrétien dans lequel je suis investi est structuré par les axes éthiques, spirituels, politiques et philosophiques suivants :


Une théologie musulmane de la Libération et de la liberté
Une théologie musulmane féministe de la Libération
Une théologie musulmane de la Nature vivante
Une théologie musulmane du process et de la Création renouvelée
Une théologie musulmane des nouveaux paradigmes scientifiques
Une théologie musulmane de la psychologie des profondeurs
Une théologie apophatique


Il va de soi que ces théologies sont, en réalité, non pas des dogmatiques, mais des philosophies, au sens donné au terme par Pierre Hadot : la philosophie est manière de vivre et non pas seulement alignement de concepts.


J’ai participé, au mois de juin dernier, aux travaux de la 58ème Semaine d’études liturgiques de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, de Paris. Ma conférence portait comme titre : « Le jeûne en islam. Quête de sens et témoignage entre théologie et anthropologie apophatiques ». Ce fut l’occasion de redire quelques unes des lignes de mon engagement.


Ce dialogue islamo-chrétien a pris des formes diverses. Ainsi, avec le regretté Olivier Clément, j’ai initié une modeste dynamique de solidarité avec la communauté orthodoxe palestinienne, non seulement pour les raisons bien connues qui concernent l’épineuse question de l’arabisation du patriarcat de Jérusalem, mais aussi pour rendre visible la militance politique, culturelle et spirituelle des chrétiens palestiniens et son inscription dans le cadre plus général de la cause de la Palestine. J'avais rédigé la première version d'un Appel qu'Olivier Clément avait ensuite corrigé, et nous l'avions proposé à la signature de plusieurs personnalités. A cette même époque, je travaillais énormément sur la question du Salut dans les contextes de l’islam et du christianisme orthodoxe. J’avais d’ailleurs rencontré le père Boris (Bobrinskoy) et réalisé avec lui un important entretien qui portait sur l’économie de salut selon la perspective pneumatologique.


Au milieu des années 1990, je commençais à nouer de vraies relations avec des responsables du Mouvement de la jeunesse orthodoxe, du Liban, comme Raymond Rizk, ou encore Tarek Mitri, qui représentait l’Eglise orthodoxe antiochienne au Conseil oecuménique des Églises, et le père Georges (Khodr), figure éminente de cette Eglise arabe.


Dans le cadre de la dynamique de dialogue interreligieux qui était la mienne, je travaillais aussi avec des amis protestants, comme Françoise Smyth-Florentin. Très proche du père Georges, elle avait fait en sorte qu’il reçoive de la part de la Faculté de théologie protestante de Paris, un diplôme honoris causa, pour la reconnaissance de l’ensemble de son œuvre ecclésiale et théologique. En 1995, j’ai demandé à cette Faculté de me donner la possibilité d’animer un séminaire sur le christianisme arabe. Le séminaire dura un semestre. Dans le même temps, j’avais tenu à organiser un colloque international dans cette même faculté afin de rendre hommage au père Youakim Moubarac. Maronite, il était lui aussi un proche du père Georges, rêvant d’un concile antiochien qui réunirait l’ « Église des arabes ». Mes amis orthodoxes m’ont beaucoup aidé à la mise en place de ce colloque dont j’avais donné la présidence d’honneur au père Georges


Durant quelques années, j’ai participé à l’organisation du Café théo islamo-chrétien de l’Animation universitaire protestante de Paris, avec la pasteur Françoise Sternberger.


Mes amitiés chrétiennes étaient aussi catholiques et, avec notamment le père Gilles Couvreur, qui fut un temps le responsable du Secrétariat pour les relations avec l’islam, j’ai pu avoir d’intenses échanges, sous le signe de François d’Assise et d’Ibn ‘Arabi


Quelques années plus tard, dans les années 2002, ma relation de dialogue avec le christianisme prenait le chemin d’une exploration de sa conception théologique et de sa vision mystique à propos de la Nature vivante, et de sa critique potentielle de la « modernité capitaliste ». Un détour par la théologie de la Libération s’avérait nécessaire…


Dans son beau livre « L’Église des Arabes » * - qui fut traduit en arabe par le patriarche orthodoxe d’Antioche Ignace IV ! -, le regretté Jean Corbon, qui fut prêtre à Beyrouth au sein de l’Église grecque-catholique, écrivait ces lignes à propos de la rencontre entre chrétiens et musulmans. Je fais miennes ces lignes, car elles expriment l’esprit des formations que je propose :


Eglise_des_Arabes.jpg« Trop de chrétiens et de musulmans, bien intentionnés, confondent aussi le dialogue avec l’annonce de l’Évangile ou de l’islam. De là, sans doute, la méfiance ou la gêne qui ont parfois marqué des tentatives de dialogue. Mais, la pureté du cœur aidant, on peut être tout à fait décontracté, si l’on perçoit clairement les objectifs et les limites du dialogue. Il s’agit en cette étape de connaître et d’être connu ; on se met en question sous le regard de l’autre et l’on avance ensemble dans cette découverte commune. On est orienté ensemble vers Dieu, vers sa rencontre justement ; or cette rencontre est d’abord la démarche du Seigneur de nos vies, et les interlocuteurs humains n’en sont que les acteurs. Il n’y a donc rien à cacher ; ni arrière-pensée d’amener l’autre à mon point de vue, ni batterie camouflée qui obligerait à capituler. Le dialogue est étranger à toute tactique offensive ou défensive ; tout est à découvert.


Cette liberté intérieure, l’une des formes les plus spirituelles de la liberté de conscience, fonde la sérénité et l’autonomie du dialogue religieux entre les hommes. Alors que le dialogue vivant de l’homme avec Dieu suit un chemin secret ou aucune altérité ne peut intervenir, le dialogue religieux entre hommes est un terrain de soi découvert, dégagé de tout moyen tactique et propice à une rencontre dans l’intelligence du cœur ». (pp. 155-156).

* Ndlr - publié en 1977 aux éditions du Cerf (avec 248 p.), le livre de Jean Corbon a été réédité en 2007 


J’espère que cette lettre saura retenir votre attention. Je reste à votre entière disposition si vous souhaitez d’autres informations et renseignements, aussi bien concernant mon projet de formation que sur mon parcours et mes engagements. Dans l’attente de vous lire, Veuillez recevoir, Chère Madame, Cher Monsieur,  mes plus sincères salutations.

à suivre ...

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 03:54

Mohammed Taleb se présente lui-même ainsi (son message du 12 novembre 2011) :
 

mohammed_taleb_portrait.jpgIl est engagé dans un travail intellectuel (théologique, philosophique et politique) visant à faire vivre et à faire connaître la théologie islamique de la Libération, qui veut être une troisième voie, en terre d’islam et dans les communautés musulmanes en Occident, face à l’alternative réductrice de l’occidentalisation et du fondamentalisme. Par ailleurs, il a écrit de nombreux travaux sur la théologie de la Libération dans le contexte des communautés arabes chrétiennes du Proche-Orient (Palestine, Liban, Iraq, Egypte). En plus de ces dimensions théologico-politiques, il a une expérience de l’enseignement et de la pédagogie (il est enseignant, en éducation relative à l’environnement et en éco-psychologie, à l’Ecole supérieure en éducation sociale de Lausanne).


Formateur, philosophe et écrivain, il a terminé, en 2006, une formation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au sein de la Chaire canadienne de recherche en éducation relative à l’environnement (attestation d’études supérieures). Il préside Le singulier universel, association soumise à la Loi 1901, qu’il a fondé en 1994. Il dirige, en particulier, au sein de cette association, le projet de l’Institut de formation transdisciplinaire en éducation relative à l’environnement.


Outre son activité d’enseignant, il intervient comme formateur auprès de nombreuses institutions et associations dans les domaines de l’éducation relative à l’environnement, de l’éco-psychologie, de l’éco-développement, de l’économie solidaire, de la solidarité internationale et du dialogue interculturel. Il a ainsi donné des conférences et animé des séminaires aux universités de Paris 8-Saint Denis, de Genève, de Montréal, de Namur, de Louvain-la-neuve, dans des IUFMs, des collectivités territoriales, à l’Institut du monde arabe, à l’Unesco, au Ministère de l’agriculture. Il est membre du comité socio-scientifique du Congrès mondial de l’éducation à l’environnement.


Il propose des formations, conférences, et rédaction d'articles sur les thèmes suivants :
- Libre intelligence de la foi
- Paroles chrétiennes et musulmanes pour une justice globale ou le défi des théologies de la libération
- Spiritualité, écologie et dialogue des civilisations : de nouveaux chantiers pour la conscience religieuse
- Regards sur les théologie féministes de la Libération en islam et dans le christianisme
- La quête de sens dans la science contemporaine et vie spirituelle. Un éclairage d'Alfred North Whitehead et de la théologie du Process
- Le christianisme arabe ou la médiation méconnue dans le dialogue islamo-chrétien
 

 

Formations : Il se propose de fournir aux participants des outils, des concepts, des méthodes et des connaissances (théoriques et pratiques), en rapport avec les thèmes précités, sous la forme d’un module thématique traité en une seule fois (une demi-journée), ou bien traité en plusieurs fois, ou encore un cycle de formation composé de plusieurs modules thématiques. La formation peut se faire à distance : il s'agit alors d'un cours particulier, soit ponctuel soit sur une année, donné par Internet et par téléphone, avec l'étude de documents. Conférences : exposé d’une heure trente environ, suivi d’un débat. Rédaction d’articles  pour des journaux, magazines et revues, ou encore d’interviews. La plaquette des tarifs peut être communiqué en contactant Mohammed Taleb, courriel (lien).

à suivre ...

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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 17:44

par Jean-Claude Barbier (chrétien unitarien, Bordeaux)

 

Qui est Jude ?

 

jude icôneJude (Iehouda) se présente comme le frère de Jacques (« Jude, serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques … », v. 1), lequel fut le « frère du Seigneur » et chef spirituel de la communauté de Jérusalem des années 40 jusqu’à sa mort en 62 *. Nous connaissons déjà Jude comme étant un frère de Jésus et de Jacques grâce à Marc (6, 3) et Matthieu (13, 55)  : « N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset [variante : José, Joseph], de Jude et de Simon ? » (Marc, dans Matthieu, Jude vient après Simon, donc en position de puîné). En plus, ce verset nous renseigne sur son rang au sein de la phratrie : Jésus semble être l’aîné, devant Jacques et Jude, lequel est donc plus jeune que Jacques. Ci-joint, Jude en icône byzantine.


Jude ne va pourtant pas succéder à son frère à la tête de la communauté ; nous savons, par l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, que c’est Siméon, fils de Cléophas et de Marie (sœur de Marie la mère de Jésus selon Jn 19, 25, que Jean l’évangéliste place au pied de la croix avec la mère de Jésus et Marie de Magdala), qui sera choisi (et donc considéré comme le second « évêque » de Jérusalem) ; il exercera pendant longtemps, jusqu’à sa mort en martyr en 107. Jude, en tant que frère de Jésus et de Jacques, bénéficie toutefois d’un rang suffisant pour s’adresser aux fidèles dans une épître qui se veut solennelle, adressée : « aux appelés, aimés de Dieu le Père et gardés pour Jésus-Christ » (v. 1) - avec une variante : « aux nations appelées », à savoir indistinctement à tous les chrétiens qu’ils soient judéo-chrétiens ou convertis d’origine païenne. Il est alors suffisamment âgé pour adopter un ton paternel : « Mais, vous, très chers … » (à plusieurs reprises, v. 3, 17 et 20).

 

* Lors de la discussion à Jérusalem vers 48-49 sur la dispense de certaines prescriptions mosaïques aux païens convertis (la circoncision, les interdits alimentaires), c’est Jacques qui va trancher le débat et dire le dernier mot. Son épître aux Juifs de la Dispersion (= diaspora) a pu être écrite à cette époque (avant 49 pour certains). En été 58, les Actes des apôtres confirment qu’il est bien à la tête de la communauté. Il est mort lapidé en 62 sur ordre du grand prêtre Anan qui mit à profit une vacance du pouvoir romain entre la mort du préfet Festus et l’arrivée d’Albinus son successeur, afin de plaire aux Juifs hostiles aux Nazôréens (la Voie eschatologique qui se réfère à Jésus).


Il ne s’agit pas de l’apôtre Jude Thaddée (Mc 3, 16), puisque Jude ne se présente pas lui-même comme un apôtre, mais comme un simple serviteur de Jésus-Christ (v. 1). D’ailleurs, il prend les apôtres à témoin sans s’y inclure dans leur collège : « Mais, vous, très chers, rappelez-vous ce qui a été prédit par les apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ » (v. 17).


Il a pu écrire son épître après la mort de son frère en 62. Elle marque en tout cas l’avènement d’une génération : les apôtres et ceux qui ont connu Jésus ont délivré leur témoignage ; désormais vient une seconde génération qui doit se positionner vis-à-vis de cet héritage. Pour Jude «  la foi [a été] transmise une fois pour toute » (v. 3) et il s’agit maintenant d’être vigilant, « de combattre » pour son maintien. On retrouvera le même refrain dans les écrits johanniques : il y a eu témoignage véridique, à transmettre fidèlement de génération en génération.

 

les accusations de Jude

 

Or Jude, jouant le rôle d’Ancien, se montre très sévère vis-à-vis de cette nouvelle génération ; il s’inquiète pour son salut et dit qu’il a été moralement « contraint » d’écrire pour lancer un cri d’alarme : « Très chers, j’avais un grand désir de vous écrire au sujet de notre salut commun, et j’ai été contraint de le faire … » (v. 3). Que se passe-t-il donc ?


Les années 60 sont mouvementés pour la communauté de Jérusalem : l’arrestation de Paul à la Pentecôte 58 ; le martyr de Jacques en 62 et sa succession qui a du faire débat ; l’incendie de Rome en juillet 64 et la persécution des chrétiens par l’empereur romain Néron avec peut-être les martyrs de Pierre et de Paul (les dates estimées varient de 64 à vers 67) ; le soulèvement des Juifs d’Alexandrie en 66 et leur répression par Tibère Alexandre, alors préfet d’Egypte, faisant plusieurs milliers de morts ; en été 66, le début de la Première guerre juive en Palestine ; le 29 août 70, la prise du Temple par Titus et l'incendie du lieu saint. Mais Jude ne se fait nullement l’échos de ces évènements, du moins explicitement.


Jude accuse certains de « débauche » (v. 4), ce qui est une approche moraliste des plus larges : difficile dans ces conditions d’y voir clair ! Ils sont « en délire » (se mettraient-ils en transe ?), « souillent la chair » (à savoir commettraient l’homosexualité que Jude vient d’évoquer en rappelant l’histoire de Sodome et Gomorrhe),  et v. 12, « Ce sont eux les écueils de vos agapes. Ils font bonne chère sans vergogne, ils se repaissent » (déjà Paul tempêtait contre ceux qui utilisaient l’eucharistie pour se goinfrer !). Dionysos s’inviterait-il donc aux agapes chrétiennes ? (lien) Jude, le judéo-chrétien, s’inquièterait-il de l’ouverture aux païens, lesquels, bien que convertis, auraient conservé des pratiques « immorales », éloignés de la rigueur des lois de Moïse ?


Plus grave (v. 17) seraient les « moqueurs » (Bible de Jérusalem), les « railleurs » (Bible de Chouraqui). Mais vis-à-vis de quoi ? Est-ce la perspective eschatologique du mouvement qui serait ainsi remise en cause ? La génération de ceux qui ont connu Jésus est en train de passer et Jésus n’est toujours pas de retour en dépit de ce qu’il aurait annoncé à ses disciples … Curieusement, est-ce pour des croyances dans les anges que Jude les pourfendrait ? Ils « méprisent la Seigneurie *, blasphèment les Gloires » (v. 9) (pour la Bible de Jérusalem) – « rejettent la souveraineté, blasphèment les gloires » (pour Chouraqui) – Et Jude le confirme dans son verset suivant (v. 10) : « Quant à eux, ils blasphèment ce qu’ils ignorent ; et ce qu’ils connaissent par nature, comme les bêtes sans raison … ». Fichtre !


* La Seigneurie ou les seigneuries ; celles des anges ! Paul y fait allusion en Ephésiens 1, 17-21 (il y évoque un « esprit de sagesse et de révélation » qui puisse « illuminer les yeux de nos cœurs » pour voir le Christ à la droite du « Père de la gloire » siéger « bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Seigneuries … » - celles-ci étant le nom de hiérarchies angéliques dans la littérature juive)  et Colossiens 1, 15-16 (le Christ est « l’Image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances … ».)


Cela irait-il jusqu’à la dissidence ? « Ce sont eux qui créent des divisions, ces êtres « psychiques » qui n’ont pas d’esprit » (v. 19), mais leur hérésie n’est pas nommée ; cela semble seulement des disputes au sein de la communauté sur ces histoires d’ange ! Cela provoque-t-il des départs ? un début d'apostasies ?  « Ces impies … renient notre seul Maître et Seigneur Jésus-Christ » (v. 4), mais ce reniement – si reniement il y a - semble resté ici au niveau des cœurs et non des faits ! Somme toute rien de grave sinon des désaccords sur les spéculations métaphysiques.

 

la référence aux apocryphes juifs

 

Mais Jude accorde quant à lui beaucoup d’importance à ces spéculations. Il confirme par son épître – et c’est là certainement son plus grand intérêt – la dimension eschatologique du mouvement des nazôréens. Les sadducéens avaient rejeté toutes ces nouveautés introduites chez leurs compatriotes exilés à Babylone (de 721 pour le Royaume d’Israël et de 598 pour les Judéens à l’édit du perse Cyrus en 538), mais les pharisiens s’étaient montrés plus libéraux. De ce séjour à l’étranger date aussi la croyance zoroastrienne d’un jugement au Dernier jour et d’une résurrection pour ceux qui auront été justifiés. Nous savons que les esséniens étaient plus encore tendus vers cette espérance des Dernier temps. Les nazôréens développent cette espérance et Jude témoigne dans son épître de cet ésotérisme.

 

C’est le seul texte du Nouveau testament qui se réfère à la littérature apocryphe juive inter testamentaire (donc non traduite par la Septante car plus récente et non reprise par la Bible hébraïque des rabbins) : le Livre d’Hénoch / Enock (en partie antérieur au Livre de Daniel où est évoquée la « Grande persécution » des années 167-164 sur ordre du séleucide Antiochus IV Epiphane), le Testament des Douze Patriarches, un autre apocryphe juif de la période des Séleucides (au temps de Jonathan, mort en 142), et l’Assomption de Moïse (située par la chronologie de la Bible de Jérusalem peu de temps après la naissance de Jésus, entre Pâque de l’an 4 et l’an 1 avant Jésus-Christ).


saint-michel remet tables-de-la-loi à moise par colas alphdessin d’Alphonse Colas (1818-1887) : Saint-Michel remettant les tables de la Loi à Moïse.

Ce peintre lillois décora l’église Saint-Michel de Lille en 1876-1887).


Jude évoque les « anges, qui n’ont pas conservé leur primauté, mais ont quitté leur propre demeure »  ( Dieu « les a gardés dans des liens éternels, au fonde des ténèbres » (v.6). Ces anges se sont laissés séduire par les filles des hommes comme le raconte la Genèse en 6, 1-2 et comme le développe abondamment le Livre d’Hénoch. Le Testament des Douze Patriarches mentionne ensemble le péché des anges et celui de Sodome qui consiste à courir « après une chair différente », ce que fait Jude aussi dans un même verset (v. 7). C’est précisément cette transgression, ces relations sexuelles contre nature, qui vaut « la peine d’un feu éternel » (v. 7) – ce qui n’est plus du tout le calme shéol où les défunts s’estompaient doucement. Ces anges ont-ils été transformés en ces « astres errants auxquels les ténèbres épaisses sont gardées pour l’éternité » (v. 13) ? Dans les apocryphes juifs, comme dans le Livre d’Hénoch, les anges sont fréquemment symbolisés par des étoiles (note de la Bible de Jérusalem).


Jude évoque par ailleurs la plaidoirie de l’archange ("messager en chef" dans la traduction de Chouraqui) Michel contre « le diable », lequel réclamait à l’archange le corps de Moïse. Celle-ci est relatée dans l’Assomption de Moïse *. Pas trop méchant le Michel car Jude (v. 9) nous dit qu’il ne porta point sur lui de « jugement outrageant » (encore moins ne le pourfendit-il pas comme postérieurement le fera le saint Michel de nos légendes chrétiennes) mais se contenta de lui dire « Que le Seigneur te condamne ! » (Bible de Jérusalem) / « L’Adôn te rabrouera ! » (pour la traduction de Chouraqui).
* malheureusement absent des éditions de La Pléiade sur les inter testamentaires.


Puis, en tableau final, cette fresque eschatologique du Livre d’Hénoch (1, 9) que Jude cite de mémoire (v. 14) : « C’est aussi pour eux [les blasphémateurs] qu’a prophétisé en ces termes Hénoch, le septième patriarche depuis Adam * : « Voici : le Seigneur est venu avec ses saintes myriades **, afin d’exercer le jugement contre tous et de confondre tous les impies pour toutes les œuvres d’impiété qu’ils ont commises, pour toutes les paroles dures qu’ont proférées contre lui les pécheurs impies » (Bible de Jérusalem) / « Hanokh aussi, le septième depuis Adâm, fut inspiré sur ceux-là, disant: « Voici, IHVH-Adonaï vient avec ses myriades de consacrés, pour les juger tous, pour accuser tout être de toutes les œuvres non ferventes de leur non ferveur et de toutes les duretés dites contre lui par des fautifs non fervents. » (Chouraqui). Jude (v. 15) ajoute une réminiscence d’Hénoch 5, 5 : « Ce sont eux qui murmurent, se plaignent, marchent selon leurs convoitises … ».
* 1 Hénoch 60, 8 «Hénoch le septième depuis Adam »;
** 1 Hénoch 1, 9 «Voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, pour exercer un jugement contre tous...» ; Deutéronome 33:2 «Voici, le Seigneur est venu de Sinaï... il est sorti des myriades de saints». Les myriades : expression de l’Antiquité équivalant au nombre de 10 000 ; par extension, un grand nombre.


On l’aura compris, Jude ne badinait point avec ces histoires du Ciel !

 

athmosphere
La Deuxième épître de Pierre, que l’on dit pourtant copiée de Jude (à moins que ce ne soit l’inverse !), évitera, quant à elle, toute référence apocryphe. Pourtant des Pères de l’Eglise ne tiqueront pas sur cette littérature eschatologique de Jude et accepteront cette épître à commencer – peut être - par Hermas et Clément de Rome qui vivaient en 85 ( mais L. Aug.  Arnaud, dans sa thèse de 1835, ne retient pas cette   hypothèse car les citations ne lui semblent pas 2-Pierre-et-Jude.jpgsuffisamment ressemblantes), en tout cas au tout début du IIème siècle par Polycarpe dans son Epître aux Philippiens, où se trouve un parallèle avec Jude verset 20 ( « mais vous, très chers, vous édifiant sur votre foi très sainte, priant dans l’Esprit Saint, …) ; plus tard dans le même siècle Clément d’Alexandrie et Tertullien lesquels s’appuient eux aussi sur le Livre d’Hénoch ; enfin Origène au IIIème siècle qui juge l’épître authentique et la cite. Voici le témoignage de saint Jérôme (347-420) concernant son admission dans le canon (lequel a été fixé en 360) : « Jude, frère de Jacques, a laissé une brève épître, qui est du nombre des sept épîtres catholiques ; elle est rejetée par plusieurs du fait qu'elle invoque le témoignage du livre d'Hénoch, un apocryphe ; cependant, par son ancienneté et l'usage qui en a été fait, elle n'a pas manqué d'autorité et elle prend place au rang des Saintes Écritures. »


Sources (en français) :


epitre de judeEpître de Jude dans Wikipedia ( lien)
 Essai critique sur l'authenticité de l'épître de Jude de L. Aug. Arnaud (originaire de Nyons en Drôme, 1835, thèse soutenue à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg ; numérisé par Google ( lien)
 Recherches critiques sur l'épître de Jude, par Eugène Arnaud (pasteur), 1851, Strasbourg : imprimerie de Veuve Berger Levrault, numérisé par Google ( lien). Se réfère aux érudits allemands.
Etude sur l’épître de Jude, 1946 - Résumé de réunions d'étude à Paris en 1946, 104 p. , aux éditions Bibles et Littérature Chrétienne (EBLC) à Chailly-Montreux, en Suisse ( lien)
Samuel Benetrau, 1994 – La Deuxième épître de Pierre et Epître de Jude, édité par Edifac, 320 p., dans une collection de la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine ( lien)

John MacArthur2 Pierre et Jude, éd. Impact ; Librairie ACCM (lien), l’auteur utilise Jude pour critiquer le relativisme et la tolérance de l’époque post-moderne (sic !).

 

ndlr - Nous remercions Fabien Girard, membre du forum "Unitariens francophones" (lien) d'avoir attiré notre attention sur les références à la littérature apocryphe juive faites dans cette épître.

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3 octobre 2011 1 03 /10 /octobre /2011 15:50

Dimanche 16 octobre 2011, Marche ouverte à toute personne respectueuse des convictions d’autrui. But : fidèles à nos fois respectives,

- nous nous rapprochons de Celui qui est tout proche de nous

« Quand Mes adorateurs t’interrogent sur Moi, [dis-leur que] Je suis tout proche et je réponds à l’appel de qui M’invoque quand on M’invoque ». Coran, s. 2, v. 186. « Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître… » Luc 24, 13-16

- nous cheminons ensemble, mus par le même Souffle

«…et rappelez-vous la grâce de Dieu quand - d’ennemis - Il a fait de vous des frères, par Sa grâce, en mettant vos coeurs à l’unisson » Coran, s. 3, v. 103. « Oh ! Quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères ! … Là, le Seigneur a décidé de bénir : c’est la vie pour toujours ! » Ps. 133, 1 et 3. "Je suis la voie" Jean XIV, 6Coran I, 6

 

Manifestation : rencontre au Couvent des Capucins (32 rue Boissonade, métro: Raspail), puis marche : Rue Boissonade – Bd Raspail - Bd Arago – Bd Saint-Marcel – Rue Geoffroy Saint-Hilaire – Place de l’Emir Abdel-Kader – Place du Puits de l’Ermite , enfin arrivée à La Grande mosquée (2 bis, place du Puits de l’Ermite, métro : place Monge)


Programme :

10h Couvent des Capucins : mot d’accueil du frère gardien de la communauté, et prières d’ouverture,

10h45 « Frère François dans mon itinéraire spirituel et mon engagement citoyen », par Josette Gazzaniga

11h45 présentation des acteurs du comité d’organisation ; repas tiré du sac sur place ; puis marche vers la mosquée

14h15 Grande mosquée : mot d’accueil du directeur de l’institut Alghazali, prières d’ouverture

14h45 « Abdelkader dans mon itinéraire spirituel et mon engagement citoyen » par Djelloul Seddiki

15h45 prières de clôture ; visite guidée de la mosquée


Font partie du comité d’organisation

Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne : Khaled Roumo, Saïd- Ali Koussay, Catherine Stroebel, Fatima Djerboa

Institut Alghazali de la Mosquée de Paris : Djelloul Seddiki

Comité Interreligieux de la Famille Franciscaine : Josette Gazzaniga

Service des Relations avec l’Islam : Christophe Roucou, Jean-François Bour, Colette Hamza

Groupe du Foyer Islamo-Chrétien : Bettoune et Marc Galdeano

Amis de la Paix (le Mans) : Adji Drame, Hilaire Bodin

Mouvement International des Responsables Chrétiens : Norbert Ducrot

Commissions de l’Association Internationale Soufie (Alawiya) : Fouzia Oukazi

Les Frères Maristes de France : Paul Bissardon, Bernard Meha

Délégation aux Relations avec l'Islam sur l'Essonne : Hélène Diximier

Association des Ecrivains Croyants : Christophe Hening

Groupe de Réflexion et de Connaissance de l'Océan Indien : Bakari Misbahou

Les scouts Musulmans de France : Younès Aberkane


Date limite des inscriptions : 13 octobre 2010. Fiche d’inscription avec nom, prénom, association, à envoyer au frère Paul Bissardon : 21 bis, rue Dareau, 75014, pbissardon@yahoo.fr

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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 19:30

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Avec les cultes à mystère, celui de Déméter puis celui de Dionysos, etc., va se développer, ce que l’on appelle l’orphisme où les fidèles sont invités à participer à la résurrection de leur dieu (Dionysos ressuscité après avoir été mangé par les Titans, et sortant sa mère des Enfers), à se purifier (lors des Grands mystères d’Eleusis, les adeptes se purifient dans la mer, et font retraite et jeûne). L’orphisme repose sur les philosophies pythagoricienne, platonicienne, puis néo-platonicienne, et rassemble diverses doctrines professant l’immortalité de l’âme et la succession de cycles de réincarnations jusqu’à la purification définitive. Les cosmogonies orphiques postulent une unité originelle, d'abord brisée, ensuite virtuellement restaurée sous le règne de Dionysos. « Ce thème central de réunification, de reconstitution, ou de réconciliation, relie ces diverses cosmogonies au mythe orphique fondamental de Dionysos » (Jacques Prévost, lien). Du chaos, on aboutit à un ordre divin éternel dirigé par Zeus.

Mieux, l’orphisme professe que nous avons une part de divin en nous, que nous sommes donc capables de choisir le Bien et le Beau et d’accéder à l’immortalité par le salut de notre âme. C’est le mythe de Zagreus, première incarnation de Dionysos, qui jette les bases de cette perspective :


« Plus tard Éros offre l'empire du monde à Zagreus. Jaloux et révoltés, les Titans s'emparent de lui et le dévorent. Zeus les foudroie, et de leurs cendres naissent les hommes, gardant en eux une parcelle du dieu dévoré. Dans une autre version, c'est Perséphone qui conçoit Zagréus. Poursuivi par la jalousie de Héra, Zagréus revêt plusieurs apparences. Sous la forme d'un taureau, il est dévoré par les Titans, mais la déesse Pallas réussit à préserver son cœur. Zeus foudroie les Titans et absorbe le cœur de son fils qui, régénéré, devient Iacchos, identifié à Dionysos. Perséphone interdit alors que l'homme gagne un jour le monde divin, le condamnant à errer sur Terre de vie en vie, en oubliant son origine divine. Une partie des cendres des Titans a donné aux hommes la capacité de faire le mal, mais l'autre moitié, porteuse de la divinité de Dionysos, leur confère une étincelle d'amour. L'Orphisme professe donc que l'homme a deux parts en lui, l'une proprement divine, dont le souvenir permet d'accéder de nouveau au monde divin, et l'autre d'audace, de révolte et de liberté, héritée des Titans, qui lui permet de braver l'ordre établi.


L'Orphisme propose aux fidèles des rites mystiques, des suites d’initiations, et des règles ascétiques de vie. Les adeptes sont opposés à toute violence. Végétariens, ils ne consomment aucune chair. Á travers sa double naissance, mortelle par sa mère et divine par son père, Dionysos apporte l’énergie sacrée à la nature ordinaire. Chaque année, il entre en cortège dans la cité grecque qui l’accueille avec des fêtes bruyantes et colorées. Il se manifeste différemment dans les Mystères extatiques accessibles aux seuls initiés. Les diverses légendes concordent. Dionysos ressuscité est ainsi né deux fois, ce qui est aussi son nom. Les hommes naissent des cendres des Titans foudroyés. Leur nature est donc animale et matérielle, mais ils recèlent en leur âme une parcelle du Dieu dévoré. Dans le système théogonique des adeptes d’Orphée, six générations divines se succèdent en bouclant sur elles-mêmes. Phanés, (la Lumière originelle), Fils de Zeus et de Métis, est le premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus, (prononcé Deus par les Romains et par nous-mêmes). Celui-ci remet enfin son pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines. Au delà de ses aspects cycliques, l'Orphisme propose un mythe universel de salut permettant au fidèle de sauver son âme divine. En cela, il annonce le Gnosticisme. » (Jacques Prévost, lien).


Le christianisme des inspirés


lumiere-du-ciel.jpg

 

C’est par une effervescence collective, celle de la Pentecôte (Ac 2, 12-13), que les Douze se font apôtres, annonciateurs de la Bonne nouvelle, et donneront corps à une voie juive eschatologique, les nazôréens (voir Michel Lucciani, « Jésus : de Nazareth, le Nazôréen, le Nazaréen ? », dans les Etudes unitariennes, lien). C’est par une vision de Pierre que les païens convertis seront dispensés des interdits alimentaires du judaïsme (Ac 10, 3-16), c’est par une transe de païens craignant Dieu que ceux-ci auront droit à l’accès au baptême (Ac 10, 44-48). La nouvelle Voie renoue manifestement avec le prophétisme du temps d’Elisée (2 R 2-13, sous le règne du roi Joram d’Israël, 852-841 av. J.-C.). Jésus avait prévenu le pharisien Nicodème : l’homme doit renaître à l’esprit qui vient d’en haut (Jean seul, 3, 1-21). Le christianisme naissant va infailliblement rencontrer les inspirés des cultes à mystères.


Avec les écrits johanniques, qui se terminent en apothéose par l’Apocalypse de Jean de Patmos (Ap 1, 9) – le livre des révélations – la porte est ouverte. A partir de la Phrygie, s’inspirant explicitement de ces écrits, le montanisme se développe au IIème siècle, autour d’un prophète et de femmes de son entourage (voir dans les Etudes unitariennes notre dossier sur le montanisme face au christianisme épiscopal, lien).

fin

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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 18:32

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Des confréries religieuses


En plus des temples où le dieu Dionysos pouvait être consulté avec l’aide de prêtres, le culte s’organisait en confréries. Ce dieu n’est jamais seul, mais, convivial, il déambule avec tout un cortège de ménades et de satyres, du vieux Silène (le satyre qui dirigeait les nymphes chargées de veiller sur le jeune Dionysos) ; également d’animaux : panthères, boucs, ânes. Les adeptes qui s’exhibaient ainsi lors de ces cortèges dionysaques, étaient initiés au préalable à des mystères au sein de confréries appelées thyases.


Dionysos_mosaic_from_Pella.jpg

Dionysos assis sur une panthère, mosaïque du IVe siècle av. J.‑C., musée archéologique de Pella.


Ces cortèges, bruyants et colorés, étaient accompagnées de musiciens. « Les chants et musiques dionysiaques font appel aux percussions [cymbales et tambourins] et aux flûtes. Ils sont dissonants, syncopés, provoquent la surprise et parfois l'effroi. En ce sens, il est l'antithèse d'Apollon, qui patronne l'art lyrique et l'harmonie. D'ailleurs les flûtistes (aulètes) étaient perçus comme des bateleurs et non des musiciens, car l'usage de l'instrument déformait leur bouche, ce qui heurtait l'esthétique grecque et donnait lieu à des plaisanteries » (Wikipedia).

dionysos_et_menades_dessin.jpg

Dyonisos et ménades, reproduction des peintures d'un vase en dessin


Dionysos_satyrs_Cdm_Paris_575.jpgDionysos et satyres, médaillon d'un kylix du Peintre de Brygos, vers 480 av. J.-C.,

Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France.


Le culte, populaire, se donnait à voir au théâtre grec au cours des Dionysies, en présence de ses prêtres (comme les mystères que l'on jouait au Moyen Âge sur les parvis des cathédrales). Les représentations adoptaient une forme littéraire scandée particulière, le dithyrambe. Elles étaient accompagnées des chants et de la musique que nous venons de présenter. Ceci fait que Dionysos est considéré comme le père de la comédie et de la tragédie (du grec τράγος / trágos, « bouc »).


« Le culte privé avait lieu entre initiés, c'est un culte à Mystères. Le regroupement de ces initiés porte le nom de thiase. Les thiases pratiquaient un culte caché et initiatique, souvent dans des cavernes et la nuit, au cours desquels on initiait les nouveaux membres du thiase, et qui officiaient dans la dimension ésotérique de la résurrection du dieu deux fois-né. On manque de sources pour savoir ce qui s'y passait exactement, mais ces cérémonies secrètes et nocturnes ont perduré jusque sous l'empire romain. Elles comportaient des sacrifices, mais aussi des délires dus à l'ivresse ou à la consommation de drogues végétales, et des excès de toutes sortes, notamment sexuels. » (Wikipedia).


Le néo-paganisme essaie de reproduire ces fameux thiases. Il en existe plusieurs aux États-Unis, et quelques-uns en Europe. 

à suivre ...

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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 16:07

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Une religion à initiation


Même si le christianisme se présente comme une religion ouverte, elle n’est pas une auberge espagnole. Le néophyte doit suivre un enseignement, le catéchuménat, puis se faire baptiser ; on lui rappelle que la grâce de Dieu est nécessaire ; que l’Esprit vient d’en haut ; etc. Le christianisme gnostique, qui se développe à la fin du Ier et au IIème siècle, insiste sur le cheminement initiatique par la Connaissance pour élever l’âme.


Le culte de Dionysos a été l’un des premiers cultes à mystère de l’Antiquité, après celui de Déméter, la déesse des récoltes, de l’agriculture et des moissons – dont les rites agraires étaient de toute première importance.  

 
dionysos_et_ariane_-C._Albacini-_MRABASF_E-75-.jpg« Antérieur à l'orphisme, le culte associé à Dionysos contient des rites orgiaques qui impliquent que l'initié s'abandonne à sa nature animale pour en éprouver le pouvoir fécondant et la plénitude. Le vin était le moyen d'abaissement de conscience nécessaire à la révélation de secrets de la nature dont l'essence était symboliquement représentée par un accomplissement érotique et sacré : l'union de Dionysos et d'Ariane, sa compagne. Le second degré de l'ivresse, nous avons l'extase ressentie aux sons mélodieux de sa lyre. Associé à l'orphisme *, on retrouve dans cette religion des caractéristiques qui préfigurent le christianisme : mi-homme mi-dieu, Dionysos était aussi ce héros qui souffre, qui meurt et qui ressuscite. » (S Acharya, Les Mythes fondateurs du christianisme, lien).

* L’orphisme est un courant religieux de la Grèce antique, qui se rattache à Orphée, le maître des incantations, poète musicien de la mythologie grecque. Il a donné une abondante littérature entre le VIème siècle av. J.-C. et la fin du paganisme. Christian Godin le caractérise par la croyance en la divinité de l’âme, la transmigration, l’impureté du corps et le caractère libérateur de la mort : idées qui seront reprises par Platon (428-347 av. J.-C.) (Dictionnaire de philosophie, Fayard / éditions du Temps, 2004 : 919).


Le chevreau et l’agneau


Lors de son séjour en Thrace, pour le soustraire à la vengeance d'Héra, les nymphes a qui il a été confié, le transforment en gentil chevreau. Ceci fait penser à l’agneau de Dieu des textes johanniques, à commencer par Jean Baptiste qui le désigne ainsi à ses disciples (seul Jean l’évangéliste raconte la scène : Jn 1, 29 et 35-36). La comparaison est d’autant plus possible que, dans l’iconographie chrétienne, l’agneau de l’Apocalypse est représenté portant triomphalement un étendard ou une flamme au tissu ondulant … ce qui n’est pas sans faire penser à la thyrse (en latin thyrsus, du grec ancien θύρσος / thýrsos) que Dionysos porte à la main, qu'on trouve à ses pieds ou dans son cortège ; c’est l’attribut majeur par lequel on le reconnaît. Il s’agit d’un grand bâton jouant le rôle d’un sceptre. Probablement en bois de cornouiller (un arbre commun de nos haies et de nos bois dont le fruit donne un des fruits rouges et aigrelets, les cornouilles), il est orné de feuilles de lierre (ou de la vigne) et surmonté d'une pomme de pin (ou d’une grenade).


agneau_de_dieu_mosaique.jpgagneau-de-dieu_1.jpg
 agneau_de_dieu_2.jpgagneau_de_dieu_3.jpg

l'agneau de Dieu gardant les 7 sceaux de l'Apocalypse / le pied sur le Livre / dans la Jérusalem céleste / et en dessin sur un manuscrit.

 

Dionysos et Jésus, avec leurs emblèmes, entraînent derrière eux la foule de leurs disciples.


L’entrée triomphale dans la cité.


Lié au culte de Déméter, la déesse de l’agriculture, les mystère d’Eleusis, cité au nord-ouest d’Athènes, incluaient Dionysos sous la figure de Iacchos *. Voici une description des Grands mystères (les Petits mystères étaient célébrés au printemps et on sacrifiait un cochon à la déesse !)


« Les Grands mystères duraient neuf jours, d’après la durée de l’errance de Déméter à la recherche de sa fille. En septembre, avant l’automne, on se préparait aux cérémonies préliminaires qui se déroulaient à l’extérieur et qui sont donc mieux documentées. La première partie du rituel débutait par une procession durant laquelle on transportait des reliques sacrées (les hiéra) jusqu’à Athènes pour les placer dans l’Éleusinion, un sanctuaire à la base de l’Acropole. Les mystes (candidats dignes des mystères) se plongeaient dans la mer pour se purifier. Une période de jeûne s’écoulait avant que la procession de mystes suivent la statue d'Iacchos, les hiéra et les prêtres en direction d’Éleusis le long de la route sacrée. » (Wikipedia, Mystères d’Eleusis)


* Iacchos (en grec ancien Ἴακχος / Iakkhos) est une figure incertaine de la mythologie et de la religion grecque antique : son nom pourrait n'être qu'une épithète de Dionysos, mais pourrait aussi désigner un avatar orphique du dieu. Selon la tradition, il est le porteur de torche qui guide les cortèges d'initiés aux mystères d'Éleusis. Dans les Bacchantes, Euripide rapporte que les ménades poussaient un cri à l'unisson pour appeler Dionysos : « Iacchos ! Bromios ! » (Bromios = « au bruyant cortège ») (Wikipedia, Iacchos).


dionysos_mysteres_d_eleusis.jpg

Procession des mystères d’Eulésis, plaque votive, milieu du IVe siècle av. J.-C.

Iacchos (avatar de Dionysos) figure en bas, portant deux torches, l'une levée, l'autre baissée,

et se présente en tête du cortège devant la déesse Déméter.


Jésus, lui aussi, fit une entrée triomphale à Jérusalem, juché sur un ânon conformément à la prophétie de Zacharie (Mt 21, 1-9 ; Mc 11, 1-10, Lc 19, 28-40 ; Jn 12, 12-19). Cortège, lui aussi bruyant, si bien que des pharisiens amis de Jésus lui conseillent de tempérer la fougue de ses supporters : « Maître, réprimande tes disciples » (Luc seul 19, 39-40).

à suivre ...

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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 11:56

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Le breuvage qui procure l’extase


dionysos_et_la_coupe.jpgDionysos est le dieu de la vigne et du vin qu’il a apporté aux hommes. Bacchus, son équivalent romain, ajoutera la coupe à boire dans ses attributs. La bière *, puis le vin enivrait le cortège de ménades ** et de satyres qui l’escortaient dans ses déplacements. Au vin, les ménades ajoutaient de la bière additionnée de baies de lierre, toxiques, mais psychodysleptiques à faible dose, ainsi que des champignons comme l'amanite tue-mouches, hallucinogène. Tout excitées, en furie, elles pouvaient alors, dit la légende, déchirer un passant et en manger des lambeaux de chair ! Le musicien légendaire Orphée fut ainsi victime d’elles, démembré et tué.


* les Athéniens buvaient une bière d'épeautre, trágos en grec, qui est une variété de blé dur – du nom scientifique de triticum spelta - où la balle adhère fortement au grain. Le vin était l’apanage des classes aisées. Les « odes à l'épeautre » (tragédies) ont pu être considérées tardivement, par homonymie, comme des « odes aux boucs » (l'animal qui accompagnait le dieu Dionysos et qui est associé au vin chez les crétois). (selon Jane Ellen Harrison, citée par Wikipedia).
** Dans la mythologie grecque, les ménades (en grec ancien Μαινάδες / Mainádes, de μαίνομαι / maínomai, « délirer »), ou bacchantes chez les Romains, sont les accompagnatrices de Dionysos. Ce sont des femmes possédées qui personnifient les esprits orgiaques de la nature. Elles sont souvent accompagnées de satyres, avec qui elles forment le « thiase » (cortège) dionysiaque. Elles sont couronnées de feuille de lierre, portent un "thyrse" (un bâton qui sert de sceptre et qui se termine par une pomme de pin), et sont vêtues de la nébride ou de la pardalide.

 

dionysos_satires_menades_musee_louvre.jpg

Dionysos (avec son thyrse et une panthère à ses pieds), satyres et ménades,

figurant sur un vase grec du IV° siècle avant Jésus Christ, musée du Louvre, Paris.


La plupart d’entre les ménades sont les nourrices du dieu, les nymphes du mont Nysa, auxquelles Hermès avait confié le divin nourrisson. Elles l'escortent, vêtues de peaux de bêtes, en jouant du tambourin et en secouant leurs thyrses, en proie au délire dionysiaque. On désigne aussi par ce nom les participantes des Dionysies, célébrations religieuses athéniennes en l'honneur du dieu. Ces accompagnatrices de Dionysos sont ivres en permanence et portent des tatouages sur le visage en guise de camouflage. Elles ne font pas attention à ce qu'elles font. Elles chantent la joie de chasser les chèvres. Lorsque parfois les ménades deviennent folles, elles n'ont aucune pitié, démembrant les malheureux voyageurs et mangeant leur chair crue (voir notamment Orphée). Leur mois de prédilection est celui d'octobre car c'est le temps des vendanges.


Le délire, caractéristique qualifiante des ménades, n'est pas seulement éthylique. Les participantes des Dionysies consommaient de la bière additionnée de baies de lierre, toxiques, mais psychodysleptiques à faible dose, ainsi que des champignons comme l'amanite tue-mouches, hallucinogène. (Wikipedia, à l’entrée « Ménades »)


Pays méditerranéen, Israël valorise la vigne ; la Didachée (texte chrétien de la fin du 1er siècle) dira éloquemment que le raisin provient du don de Dieu et du travail des hommes. Si Jésus à la Samaritaine parle de l’eau qui donne la vie éternelle (Jn 4, 14),  c’est finalement le vin qui va aboutir au rituel chrétien de l’eucharistie. Les noces de Cana préfigurent le kiddouch (la bénédiction juive sur le vin effectué par le père de famille au début d’un repas) qui sera fait par Jésus lors de son repas d’adieu. Jésus aurait alors annoncé que le vin du kiddouch, après sa mort, sera son propre sang selon Paul dans 1 Cor. 15, les évangiles synoptiques et Jean l’évangéliste - mais ce dernier place l’événement plus tôt, lors d’un discours de Jésus à la synagogue de Capharnaüm suite à la multiplication des pains sur les rives du lac du côté de Bethsaïde (Jn 16, 47-59). Dans un discours de Jésus à ses disciples, il comparera le vigneron à Dieu, son Père, lui au cep et les disciples aux sarments (Jn 15, 1-6).


Plus largement, « Dionysos est le dieu de la végétation arborescente et de tous les sucs vitaux (sève, urine, sperme, lait, sang), comme en témoignent ses épiclèses de Φλοῖος / Phloĩos (« esprit de l'écorce ») ou encore de Συκίτης / Sykítês (« protecteur des figuiers »). Il se spécialise ensuite dans la vigne, qu'il est censé avoir donnée aux hommes, ainsi que dans l'ivresse et la transe mystique. Ses attributs incluent tout ce qui touche à la fermentation, aux cycles de régénération. Il est fils de Sémélé, avatar de la déesse phrygienne de la terre, amant d'Ariane, déesse minoenne de la végétation, et le compagnon des nymphes et des satyres [ndlr – lesquels hantent la nature]. Il est également fréquemment associé au bouc et au taureau, animaux jugés particulièrement prolifiques. […] Dionysos, dieu de l'ivresse et de l'extase est celui qui permet à ses fidèles de dépasser la mort. Le vin, comme le soma védique, est censé aider à conquérir l'immortalité. » (Wikipedia).

dyonisos_et_hermes_Greek_vase_attica_520_bC.jpgDionysos parlant avec Hermès (le dieu du commerce et des voyageurs, porte parole des dieux) ;

un satyre danse à gauche, vase attique, v. 550-520 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen (Munich).


On l'aura compris, il ne s’agit pas de simples orgies, mais d’expériences mystiques. Ceci dit, les dérapages existaient et les pouvoirs publics devaient parfois sévir ; ce que fit par exemple un sénatus-consulte romain en 186 avant J.-C. suite à un scandale retentissant.


A noter que, bien au-delà de la seule vigne, Dionysos charrie toute une ruralité qui aspire à la survie. Les plantes qui, d'une façon toute baroque, ornent ses apparitions déjouent les rigueurs du climat et constituent des exceptions dans la Nature : la pomme du pin conserve ses graines en son intérieur ; le lierre vaut par ses petites baies noires, qui procurent l’extase  et qui sont cachées dans un feuillage pérenne ; le grenadier (issus du sang du dieu) donne ses fruits, les grenades, en hiver ; le figuier révèle, là où il pousse, les eaux souterraines et donc les sources possibles. En quelque sorte, la vie interne, immanente.


Des épiclèses, souligne la nature de ce dieu immanent qui irrigue la nature de l’intérieur : Acratophore, celui qui sert du vin pur ; Δενδρίτης / Dendrítês, protecteur des arbres ; Φαλληνός / Phallênós, garant de la fécondité ; Φλοῖος / Phloĩos, esprit de l'écorce ; Συκίτης / Sukítês, protecteur des figuiers ; Ὠμάδιος / Omádios, qui aime la chair crue.


Dans le Prologue de l’évangile de Jean, Jésus, en tant que récipiendaire du Logos, la Sagesse de Dieu, est préexistant à la Création, à laquelle il va présider. « Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu [ndlr : Jésus est récipiendaire du Logos ; il participe au divin]. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être il était la vie … » (Jn 1, 1-4). Mais le christianisme ne va pas exploiter cette fonction d’un dieu qui anime toute la Création, d'un dieu de la Nature, limitant ainsi Jésus au salut des seules âmes humaines.

à suivre

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