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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 09:57

" Le culte des droits de l'homme" par Valentine Zuber, 2014 (6 mars), Gallimard, bibliothèque des Sciences humaines, 416 p., 26,00 €.


Résumé par l'éditeur : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, œuvre éclair du mois d’août 1789, est devenue dès sa promulgation l’un des symboles révolutionnaires les plus populaires en France et à l’étranger. Précocement comparée à un nouvel Evangile, elle devait être dans l’esprit de ses concepteurs et de leurs disciples, le solide garant de l’évolution inéluctable des sociétés modernes vers toujours plus d’égalité et de liberté. Socle premier des principes sacrés de la République française, la Déclaration de 1789 a peu à peu endossé une vocation universelle à l’usage du monde entier. Le souci constant de sa diffusion la plus large possible et sa célébration récurrente en France de la Révolution jusqu’à nos jours montrent encore l’exceptionnalité conférée à ce texte singulier par les républicains. L’hitoire de sa rédaction, de sa promulgation puis de sa postérité juridique et symbolique a cependant été contrastée. Objet de critiques précoces et continues émanant de bords politiques parfois opposés, le modèle déclaratif a connu une éclipse de 1848 à 1946. La Déclaration de 1789, comme archétype absolu de la déclaration des droits, n’a finalement été insérée que très tardivement dans la Constitution française. De plus, elle n’est devenue juridiquement effective qu’au tout début des années 1970. Elle n’a cependant  jamais cessée d’être invoquée par les auteurs progressistes et les zélateurs de la République. A ce titre, elle a immédiatement constitué la première référence civique de l’enseignement républicain dont elle est devenue l’indispensable abrégé, le seul véritable catéchisme de la formation politique des futurs citoyens.


declaration_des_droits_de_l_homme_et_du_citoyen.jpg Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dessiné et gravé par Niquet le Jeune. A Paris chez L’Epine Gravure rue St Hyacinthe n°38. (BnF, estampe, 1789).

 

Longtemps non assumée, la sacralisation implicite de ce texte normatif devenu credo révolutionnaire puis républicain, pose la question de l’existence d’une forme de religion civile dans la République, en dépit de sa laïcité revendiquée. Le culte des droits de l’homme, élaboré dès les premiers mois de 1789, s’est en effet constamment perpétué dans la tradition républicaine, du centenaire de 1889 au bicentenaire de 1989, jusqu’à l’exaltation plus contemporaine de la France « pays des droits de l’homme »…

Bio-bibliographie de l’auteur : Valentine Zuber est historienne, spécialiste de l’histoire de  la liberté religieuse et de la laïcité en France et en Europe. Elle enseigne à l’École pratique des hautes études. Elle a notamment publié Les Conflits de la tolérance (2004) [ndlr. autour du procès de Michel Servet, des monuments commémoratifs qui lui ont été dédiés et plus largement des hérésies en général] ; avec Jean Baubérot : Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le pacte laïque (2000) ; avec Fabienne Randaxhe : Laïcités-démocraties, des relations ambiguës (2003) ; et avec Jacques Huntzinger et Marjorie Moya, Laïcités et sociétés en Méditerranée (2012).

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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 18:26

Que peut-on mettre aujourd’hui sous ce vocable de religion civile initié par Jean-Jacques Rousseau au Siècle des lumières ? Nous proposons de distinguer les configurations concrètes suivantes :

jean-jacques-rousseau_montagne.jpgjean-jacques-rousseau_humaniste.gif

1 - Les religions communautaires. Elles sont basées sur des puissances tutélaires d’une collectivité lignagère (un fondateur de lignage, de clan, de tribu) ou territoriale (un premier roi qui est divinisé, ou une divinité qui se révèle aux premiers occupants des lieux). Cela implique pour tous le respect des lois édictées par les ancêtres, garanties par les mêmes ancêtres divinisées ou par les dieux tutélaires, et donc la punition des contrevenants et des blasphémateurs qui remettent en cause cette relation, cet équilibre ancestral qui se reproduit de génération en génération. Même en cas de conversion à une religion « étrangère », on doit toujours faire les rituels nécessaires au bon ordre familial ou social, ou à défaut les faire faire. Elles n’en sont pas moins libérales car elles autorisent le recours à des cultes « étrangers » et ne sont pas exclusives, à la condition toutefois que cela ne soit pas l’occasion de les critiquer comme le firent les missionnaires chrétiens et musulmans. Voir par exemple notre dossier sur les religions coutumières en Afrique noire (lien)

2 - Les théocraties : dans le cadre d’un Etat moderne, l’affirmation d’une seule religion à l’exception de toutes les autres. Il y a alors superposition d’une religion obligatoire à la société civile. Les théocraties sont intégristes car elles appliquent à tous les prescriptions religieuses d’une religion historique. Les républiques islamiques qui appliquent la charia entrent tout à fait dans cette catégorie ; l’Etat d’Israël, bien que cas particulier, connaît lui aussi cette tentation théocratique.

3 - Les religions englobantes. Elles assurent l’unité sociale et politique en proposant une coordination large où chaque culte peut se développer à sa propre façon. Exemple des triades indo-européennes, par exemple l’hindouisme. L’architecture d’ensemble ne doit toutefois pas être contestée, sinon les acteurs religieux non partie prenante sont hors jeux / hors loi. Voir notre dossier sur les triades indo-européennes (lien)

4 - Les religions dominantes et « officielles ». Elles jouent le même rôle de cohésion sociale. Elles admettent des religions minoritaires qui bénéficient alors d’un statut de minorités protégées par le pouvoir politique ou encore d’une simple tolérance : la diaspora juive en Europe médiévale, les chrétiens aux Moyen-Orient, les dhimmi dans l’empire ottoman, etc. Dans les pays protestants européens, les Eglises issues de la Réforme sont Eglises d’Etat ; les autres étant dites « libres ».

5 - Les religions de simple référence laissent libre cours aux religions « particulières » de chacun et ne s’y ingèrent pas, mais elles proposent une référence certes minimale, mais commune à la société civile. L’empire romain avec le culte à César, le théisme aux Etats-Unis, l’anglicanisme au Royaume-Uni (à partir du XIXème siècle, car avant il entre dans la catégorie précédente). Dans ces conditions, l’Etat peut devenir authentiquement laïc.

6 - Les religions concordataires bénéficient d’un contrat privilégié avec les Etats correspondants. Elles peuvent donc faire appel à la puissance temporelle. C’est toujours l’alliance du sabre et du goupillon, mais dorénavant basée sur la loi. Le concordat peut bénéficier à la seule religion dominante, mais dans un contexte plus large, toutes les communautés religieuses peuvent être reconnues comme étant d’utilité publique et aidées à ce titre par l’Etat. Sous Napoléon 1er, les protestants et les Juifs bénéficièrent eux aussi d’un concordat. Dans plusieurs pays européens et en Turquie, l’Etat prend en charge le salaire des clercs (à l’exemple de l’Alsace et de la Lorraine en France pour les prêtres, les pasteurs, les rabbins) ; les aumôniers militaires sont également pris en charge. Au niveau scolaire, les élèves doivent obligatoirement s’inscrire à un cours de religion. On a le choix entre diverses religions (du moins entre celles qui sont agréées par l’Etat), mais on doit avoir une religion ! Des impôts concernent la religion et, pour en être exempté, il faut se désengager des listes de baptême.

La « laïcité à la française » se refuse quant à elle à une telle prise en charge (hormis les aumôniers militaires). Pourtant les lois laïques de 1901 et de 1908 attribuent aux religions catholique, protestante et juive l’usufruit des lieux de culte qu’elles occupaient à ces dates, les réparations étant à la charge des communes ou du patrimoine religieux. Mieux, le concordat en Alsace et Lorraine a été maintenu après récupération de ces provinces au lendemain de la Dernière guerre mondiale.


7 – les religions d’utilité publique. La France admet la subvention d’acteurs pourtant privés qui sont considérés comme d’utilité publique : les partis politiques, les syndicats, les établissements scolaires confessionnels qui acceptent d’être conventionnés, des fondations caritatives et humanitaires, des Ong dont certaines sont confessionnelles, etc. Alors pourquoi des communautés religieuses ne seraient-elles pas elles aussi déclarées d’utilité publique moyennant un agrément et un suivi de l’Etat ?

Dans le modèle français de la laïcité, la distinction est établie entre les activités sociales d’une part et le culte d’autre part. Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà ? Le débat est ouvert et le modèle français n’est pas forcément exportable.

A noter qu’avec cette relation entre l’Etat et les principales communautés religieuses qui contribuent à l’encadrement social de la population, on est passé du singulier (une religion qui sert de cadre commun), à un pluriel : des religions sélectionnées pour leur rôle social – mais alors, à elles toutes, elles sont censé répondre aux besoins religieux des populations concernées ; elles sont en quelque sorte, toutes ensemble, « la religion ».


Cette aide de l’Etat instaure une distinction entre les communautés religieuses « officielles », celles qui sont dûment agréées et financées, et les autres qui sont alors des « sectes » agissant plus ou moins d’une façon informelle, pouvant être tolérées de fait mais non protégées par la loi. Quid alors de la liberté religieuse ? de la liberté de culte ? Le concept de religion civile trouve là ses limites.

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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 15:45

note de Jean-Claude Barbier, sociologue, le 15 mars 2010

La religion civile concerne l’ensemble d’une population sur un territoire politiquement contrôlée et se présente comme obligatoire aux citoyens qui y vivent quelque soit par ailleurs leurs opinions personnelles tout à fait légitimes. Dans le cadre d’Etats modernes (que ce soit des républiques ou des monarchies constitutionnelles), elle s’impose à tous et est considérée comme l’un des fondements de l’ordre social et le moteur par excellence de la solidarité. En cela, elle est différente des adhésions par décision individuelle et par conversion aux religions et aux cultes « particuliers » organisées et proposés par les divers clergés (« les religions des prêtres » selon J.-J. Rousseau).

Elle est donc liée au destin d’une nation, mais contrairement aux religions antiques, elle fait désormais l’objet d’un contrat social, conscient et volontaire, au sens où l’entendait Jean-Jacques Rousseau (Du Contrat social, 1762), philosophe du Siècle des lumières qui est l'initiateur de ce concept.

jean_jacques-rousseau-vicaire-savoyard.jpgElle est également distincte de « la religion naturelle » (toujours selon J.-J. Rousseau) selon laquelle, par l’éveil de notre conscience, l’ouverture de notre sociabilité à tous les autres humains et la reconnaissance des lois de la Nature et de la Vie par notre raison, nous adhérons à l’existence d’un Dieu universel et – ajoute notre philosophe - à la promotion de nos âmes dans une survie après la mort (ce qui est une définition du théisme).

le vicaire savoyard enseignant la religion naturelle au jeune Emile

En arrière plan de cette définition, c’est la religion comme garante de la morale car Dieu, non seulement est le super législateur (depuis Moïse et les Dix commandements qu’il reçut en théophanie !) ou du moins le garant de nos lois (car il punit les contrevenants), mais aussi le super gendarme (il voit tout et Caïn n’échappe pas à son « œil » comme le rappela Victor Hugo) et le super juge (puisqu’au jour du Jugement dernier, voir avant selon l’espérance chrétienne et musulmane, il fera le trie entre les bons et les méchants, entre ceux qui monteront au Ciel et ceux qui descendront en enfer) ; mieux – ou pire selon les cas ! - nous serons jugés selon nos actes, mais aussi selon nos intentions car Dieu ne sonde-t-il pas les reins et les cœurs ?

Une telle religion, assurément, encadre le peuple plus que ne pourraient le faire tous les pouvoirs temporels et toutes les vidéos caméra de nos espaces publics. Sans fard, les philosophes du XVIIIème siècle (que ce soient Rousseau ou Voltaire) l’appellent à leur rescousse, se défiant d’une image par trop naïve du bon peuple ; ils font appel à elle comme ils font appel aussi au despotisme éclairé du souverain pour imposer si besoin est les bonnes décisions, la démocratie électorale rimant parfois / souvent avec démagogie.

La démocratie au sens noble du terme – qui est un libre contrat social entre citoyens – peut-elle prendre le relais de ces systèmes qui s’appuient sur un ordre divin, donc  sanctionné par en haut ? A savoir, le respect des règles du jeu qui ont été établies d’un commun accord, un comportement moral valorisé, une éthique discutée et partagée, la transmission des valeurs aux générations suivantes, etc. Certes, les optimistes à tout crin, parfois démagogues sur les bords, répondront oui, mais d’autres se montreront plus prudents.

En tout cas, que l'on soit optimiste ou pessismiste vis-à-vis de la nature humaine, l’enjeu est bien réel : non pas celui de maintenir des formes religieuses anciennes (il n’en est plus question au niveau de nos Etats laïcs), mais de penser une démocratie qui, par ses seuls moyens, tienne debout, prône la vertu civique et le respect des lois et ne s’alanguisse point dans le relativisme universel, le laxisme, si ce n’est le laisser aller, la lâcheté ou la dissolution des mœurs comme disaient les Anciens ...

à suivre

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