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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 13:53

par Jean-Claude Barbier (sociologue), causerie du lundi 14 novembre 2011 au groupe "Religions" du Réseau d'échanges réciproques des savoirs (RERS) de Gradignan-Malartic.

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Les dieux titulaires qui protègent les familles, les clans, les tribus, les cités.

 

Ils sont protecteurs, épousent les intérêts du peuple qu’il protège contre ses ennemis. Ils sont providentiels, intervenant à propos. Ils sont supposés être justes et, s’il y a catastrophe, c’est parce que peuple a péché, commis des fautes rituelles, et qu’il n’a pas respecté l’alliance sacrée. Sauf exception, la justification est toujours du côté des dieux : Job, qui accuse Dieu d'injustice, fait exception ! Dans ce contexte, on peut dire que les dieux aiment leur peuple ; du moins préfèrent-ils le peuple qu’il protège aux autres !
Ceci dit, en cas de grave défaite, le peuple peut se détourner de son ou ses dieux dont la protection s’est avérée insuffisante et se convertir à d’autres dieux censés être plus puissants. Les dieux peuvent donc être abandonnés ! ne plus servir à rien !


Les dieux aphrodisiaques

 

Des divinités ont comme fonction principale d'inspirer l’amour sexuel. Dans l’Antiquité, on pensait que des dieux et des déesses jetaient comme un sort l’amour sexuel (Eros) au cœur des hommes. Ainsi le dieu Cupidon, la déesse Aphrodite, etc. Cela va d’ailleurs dans le sens de la bonne reproduction de l’espèce humaine. En quelque sorte des dieux aphrodisiaques dont les interventions expliquaient les mystères de l’amour humain lorsque celui-ci est soudain, éperdu, fatal, etc. Bref, des dieux romantiques !


Les dieux de la morale universelle

 
Le Dieu des monothéismes devenant le seul Dieu existant, celui existe désormais pour tous les humains sans exception. L’amour universel comme règle de vie, et non plus seulement la solidarité tribale. Les conseils de Jésus ouvrent à cet universel : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ; aimez votre prochain comme vous-mêmes ; aimez vos ennemis. La religion dépasse ici les clivages ethniques et politiques. La morale peut devenir universelle. C’est l’Eglise universaliste (fin XVIII° - 1961) qui, dans la logique chrétienne, a été la plus loin en ce sens : la rédemption vaut pour tout le monde, y compris les non-croyants et les méchants ! A ne pas confondre l’internationalisation d’une religion, à savoir son expansion géographique) avec son universalisme (l’accès de tous aux biens sacrés). Les chrétiens unitariens, à la suite du théologien Faust Socin au début du XVIIème siècle, ont eux aussi supprimé l’Enfer. 


D’autres religions encouragent aussi à cet universalisme : la Foi Baha'i prône cet amour universel et considère l’Humanité comme une grande et même famille ; également les mouvements soufis ; etc.


Les dieux tout entiers dans leur fonction ou caractère principal

 

Il arrive que les dieux soient définis non plus tant par leur identité, leur nom propre, que par leur principale fonction (cas des dieux grecs de l'Olympe ou encore les divinités du vodoun) : le dieu de la guerre, le dieu de l'amour, le dieu de la sagesse, etc. ; ou encore par leur caractère dominant : la violence, la douceur, l'amour, etc.


Il y avait déjà les adjectifs qui était accolés au nom de dieu dans l'Ancien Testament : le dieu Eternel, le dieu Tout-Puissant, le dieu des Armées, etc. Traduisez, Dieu qui est Tout-Puissant, etc. Avec les textes johanniques on a un dieu qui EST (tout entier) Amour ; l’amour étant ici une définition ontologique. Dieu n’aime pas de temps à autres, selon la piété de son peuple, selon les évènements, mais c’est un amour constant, inconditionnel, qui n’est plus lié aux attitudes de ses dévots. Il est comme le soleil qui, par définition, donne chaque jour sa lumière.
« Dieu est amour » 1 Jean 4:8,
« Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. » Jean 3:16,
« Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. » Romains 5:8.

 
N’y a-t-il pas là un anthropomorphisme évident, les hommes projetant leurs propres sentiments sur Dieu : amour sexuel, amour maternel, parental et filial, amour fraternel, etc. Pour Jean l’évangéliste, de sa propre liberté, parce qu’il nous aime, parce qu’il est tout entier Amour, Dieu a donné son Fils unique, son Fils Bien aimé, pour « enlever » nos péchés (le Péché originel selon Paul, plus les autres péchés) par un acte rédempteur qui est passé par sa mort et sa résurrection. Dès lors, Dieu (le Père) prend l’apparence de Jésus : c’est lui qui accueille les hommes. On aboutit à une haute christologie où Jésus prend nettement le pas sur Dieu ; du moins c’est lui que l’Eglise chrétienne présente en priorité aux foules, porté par sa mère ou encore enseignant ou encore subissant les outrages de sa Passion, etc.


Les textes johanniques, à la fin du 1er siècle, en proclamant cette nature aimante de Dieu, constituent une véritable révolution. Il s'agit en effet ni plus ni moins d'une sortie de l’Alliance : Dieu ne pose plus de conditions ; il agit selon ce qu’il est ; il donne son Fils gratuitement. Il n'y a plus de pacte entre Dieu et les Hommes avec des droits et des devoirs, mais une décision unilatérale de Dieu qui s'impose à tous. Dans le prolongement de ce qu'avait dit et fait Jésus, Paul invite à une sortie de la Loi ; et l'évangéliste Jean à une sortie du Pacte.

 

Les protestants du XVIème siècle s’empareront des textes de Paul pour fonder une théologie du salut par la Grâce indépendamment de nos œuvres et de nos pratiques religieuses. Avec la prédestination, Jean Calvin nous explique, à la suite de saint Augustin, que Dieu détermine en toute souveraineté et arbitraire ceux qu'il sauve ... et aussi les mécréants qui refusent sa Loi (et qui iront en enfer !). 

 

Un Dieu paternel, un Dieu maternel, un Dieu compatissant ... mais dont on ne comprend plus l'absentéisme vis-à-vis des grands drames de la Nature, vis-à-vis d'une faune qui s'entre-dévore et des dévôts qui s'entretuent et tuent les autres au nom même de Dieu, vis-à-vis de toutes les guerres et massacres. Indéniablement, le modèle théiste est remis en cause.


Dieu serait-il une force de la Nature ? une énergie ?

 

Paradoxalement, cette définition de Dieu par son caractère anthropomorphique dominant ou total - l’amour - projette Dieu dans un statut qui n’est plus celui d’une personne douée de volonté, faisant des choix, intervenant ou s’abstenant, nouant ou déliant les fils de nos destinées. Il n’y a plus rien à négocier avec un tel dieu puisqu’il est stable dans son humeur et sa volonté ; en quelque sorte statufié.

 

Mieux, il émane de la figure divine une énergie qui coule à flot intarissable. En proclamant Dieu Amour, les textes johanniques, paradoxalement, annoncent un Dieu qui fait corps avec sa Création, qui l'imprègne de son énergie vitale. Nous pouvons dès lors basculer dans le panthéisme.

 

Le panthéisme considère Dieu d’une toute autre façon que ne le fait le théisme - lequel personnifie Dieu -  ; il présente un divin désormais sans visage - ou aux aspects divers, multiples à l'infini - avec l'idée d’une énergie qui est immanente à la Nature ; une présence interne comme l’est l’ADN pour les êtres vivants. Une poussée de l’intérieur nous invitant sans cesse à plus d’amour, à plus de fraternité … et ceci depuis le big-bang initial !

 

Le panenthéisme, réintroduit le dieu des théistes dans le débat, en ajoutant que Dieu existait avant les commencements, qu’il reste donc transcendant à sa Création.


Cela nous invite en tout cas à une reconsidération des religions de la Nature qui divinisaient les éléments naturels plein d'énergie : la Montagne, la Tempête, le Tonnerre, la Mer, etc., en leur donnant toutefois - comme chez les Grecs - un visage anthropomorphe. Les "païens" espéraient ainsi amadouer ces forces afin qu'elles se calment. Mieux, avec le chamanisme, il y eut la recherche d'une complicité entre l'homme et ces éléments, une sorte d'osmose sacrée, une fusion temporaire dont témoignent les masques car celui qui les porte EST le génie ou le dieu ainsi représenté et qui se manifeste. Dans les religions sacrificielles comme chez les Aztèques, le sang des êtres humains sacrifiés servait à régénérer la vie, comme un carburant indispensable pour la vitalité des dieux et des hommes.

 

Pour les lecteurs des textes johanniques, les paroles du Christ sont comme de l'eau vive que l'on boit et qui donnent la vie éternelle, un bain de jouvance, un renouveau de notre être. La relation à Dieu est celle d'un amour mystique, d'une fusion acceptée et désirée. Les religions à mystère contemporaines du christianisme naissant promettaient elles-aussi une telle union sacrée.

 

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