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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 19:04

par Maurice Causse

L'historien latin Tacite écrit (5)  : « Pour détruire la rumeur (qui l'accusait de l'incendie de Rome), Néron supposa des coupables et infligea des tourments très raffinés à ceux que leurs abominations faisaient détester et que la foule appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce-Pilate avait livré au supplice. Réprimée sur le moment, cette détestable superstition perçait de nouveau, non plus seulement en Judée, où le mal avait pris naissance, mais encore à Rome où tout ce qu'il y a d'affreux et de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle ".
(5) Annales XV, 44. Nous utilisons l'analyse de Maurice Goguel (Jésus, p. 73). Ainsi que l'explique M. Goguel, il est impossible d'attribuer à une source chrétienne un point de vue qui supposerait un sommeil complet de la communauté chrétienne de la mort de Jésus aux environs de l'an 64, une source juive est impossible également, car elle n'aurait pas appelé Jésus sous le nom de Christ, ni supposé une solidarité entre les manifestations messianiques juives en Judée et chrétiennes à Rome. L'information est donc nécessairement de source païenne.

La question d'une responsabilité autre que romaine dans cette affaire ne se pose même pas pour l'historien romain. Il faut aussi pour qu'elle ait laissé cette trace dans le récit de Tacite, avec le titre de Christ donné comme le nom même de Jésus, que l' « Affaire Jésus" ait eu, au moins à l'échelon local palestinien, une certaine importance. Notons un point : si c'étaient les Romains qui avaient repéré un individu et avaient réglé son cas, ils l'auraient appelé par le nom que tout le monde lui donnait: Jésus. L'examen des évangiles confirme cette importance. D'après l'Evangile de Jean, Jésus fut arrêté par la cohorte romaine, commandée par le tribun ; autrement dit 500 hommes et un officier supérieur, apparemment le commandant de la garnison romaine. Evidemment, il n'est pas question des Romains dans les récits synoptiques de l'arrestation. Mais il est constant que Jésus fut arrêté par une troupe nombreuse (6). Il faut se représenter la scène, et la situation à Jérusalem au moment de Pâques pour réaliser que cette troupe nombreuse est surtout composée de romains.
(6) Matth. 26, 47 : une foule nombreuse, 26, 55 : "les foules", dans Marc et Luc un certain nombre de textes précisent que la « foule» était « nombreuse ».

Imaginons Jérusalem à Pâques (7) : 100 000 pèlerins qui encombrent tout ; notamment, du côté du mont des Oliviers, ces Galiléens farcis d'élucubrations messianiques dangereuses pour l'ordre public. C'est à cause d'eux que le gouverneur et la garnison sont montés de Césarée à Jérusalem pour la Pâque. Pour le militaire, on ne s'amuse guère dans cette ville sans cirque, sans contacts possibles avec la population : c'est la corvée. Surtout, éviter les manifestations. Le mont des Oliviers est spécialement à surveiller.
(7) J. Jeremias, Jérusalem au temps de Jésus, p. 115 ss.

Imaginons maintenant la garde de la tour Antonia, près du Temple de Jérusalem, en nous aidant de cartes et de photos. La garde voit une " troupe nombreuse ", armée de gourdins et d'épées (8), se précipiter de l'autre côté du Cédron vers le mont des Oliviers... et les Romains ne seraient pas dans le coup ? Ce tableau synoptique est invraisemblable et c'est le 4ème évangile qui a raison. C'est la cohorte romaine qui a arrêté Jésus. Tout le développement de la tradition chrétienne a tendu à diminuer le rôle des Romains dans l'Affaire Jésus, et même Jean suit cette tendance (9). La cohorte n'a certainement pas été rajoutée par le 4ème Evangile.
(8) Le gourdin était une arme commode pour les émeutes, et recommandée par Pilate (Josèphe, Guerre Juive, II, IX, 2). (9) "Judas, prenant la cohorte" (Jean 18, 3) ; «Pilate le livra aux chefs des prêtres pour être crucifié" (Jean 19, 16), etc.

On ne peut cependant pas écarter la présence de Judas comme guide, ni d'un détachement de la police (juive) du Temple. De toutes façons, l'Affaire est bizarre. On a envoyé le Commandant et plusieurs centaines d'hommes, et on est tombé sur une douzaine de pauvres gens parfaitement inoffensifs. L'un d'entre eux a bien tiré l'épée, mais le chef s'est rendu sans résistance, et, finalement, tous les autres se sont sauvés (10) * Marc 14, 50 ; Matth. 26, 56 ; déjà Marc 14, 32.


Il faut s'efforcer de comprendre l'attitude de Pilate; gouverneur dur et sans scrupules, il n'en faut pas douter (11)  * Voir p. ex. Isaac, Jésus et Israël, p. 453 ss (proposition XIX) ; mais ce n'est pas un imbécile ; cette affaire pouvait receler un traquenard politique ; s'il était convaincu d'avoir fait exécuter de façon expéditive comme rebelle un juif qui n'était pas ennemi des Romains, il pouvait avoir des ennuis en haut lieu.

Là encore, la version des faits donnés par Jean paraît la plus cohérente. Le récit de Marc, avec sa double réunion du Sanhédrin, d'abord la nuit, puis à nouveau le matin, le jour même de la Pâque, présente au moins trois invraisemblances majeures :
1 - une telle concentration d'activités officielles pour un jour de fête chômée (12) *

* Sur la question de la date de la mort de Jésus, il y a deux problèmes.
Jésus est mort une veille de sabbat, donc un vendredi. Mais si le repas du jeudi soir est un repas de Pâque (Marc 14, 17), alors Jésus a été crucifié le jour de Pâque, 15 Nisan. or, d'après Jean 18, 28, Jésus a été crucifié la veille de Pâque, soit le 14 Nisan. Le récit synoptique présente une contradiction majeure : au jour de Pâque, le seul travail permis est la préparation de la nourriture (Exode 12, 16). La participation juive à l'affaire est impossible... or c'est dans les synoptiques qu'elle est la plus importante. D'autre part, jusqu'à la destruction du Temple, on pratiquait le sacrifice de l'agneau pour Pâque. Il n'en est pas question, et non plus dans Paul ; par contre 1 Cor. 5, 7 est en faveur de la date donnée dans Jean. Enfin cette dernière fit seule autorité dans l'Eglise chrétienne jusqu'au IIIème siècle.

L'autre problème est celui de l'année. Pilate fut procurateur de 26 à 36. La méthode la plus claire et objective serait le calcul. Jésus étant mort un vendredi, quelles sont les années où ce jour peut, soit coïncider avec la Pâque, soit tomber la veille ? Cette méthode exclut, semble-t-il, la date de 29, fondée sur un renseignement qui remonte à Tertullien, concernant les consuls en fonctions à Rome lors de la mort de Jésus : la Pâque tombe, cette année-là, un mardi. La meilleure date, d'après les calculs, serait le vendredi 3 avril 33 qui est une veille de Pâque... de plus, le calcul donne une éclipse de lune cette nuit-là.
(Fotheringham, Journal of Theological Studies, Oxford 1934, p. 158 ss .. pour l'ensemble de la question, nous. suivons la discussion très claire et. condensée de Ogg, dans le Peake's Commentary of the Bible, p. 730 s).
2 - une telle mise en scène chez le grand-prêtre, alors que, par ailleurs, on nous dit que les prêtres en chef et les scribes craignent une manifestation populaire, s'ils arrêtent Jésus (Marc 12, 12)
3 - enfin, si on admet la participation importante des Romains à l'arrestation, il est invraisemblable qu'ils se soient dessaisis si longtemps de leur prisonnier aussitôt après l'avoir arrêté.

L'Evangile de Jean présente moins de difficultés. D'abord il s'agit de la veille de Pâque, et non du jour même ; ensuite il n'y a pas de session du Sanhédrin, mais seulement une comparution devant le grand-prêtre. Le récit de Jean comporte ici une hésitation apparente sur la personnalité du grand­-prêtre, Hanne, ou Caïphe son gendre. Cette difficulté disparaît si on se rappelle que les anciens grands-prêtres, comme Hanne, conservaient leur titre après avoir cessé leurs fonctions (13). Un ancien grand-prêtre est un personnage officieux, à l'influence moins voyante ; un rôle important de Hanne est ici vraisemblable.
(13) J. Jeremias. « Jérusalem... ", p. 221.

Il nous paraît donc normal d'admettre que Jésus a été amené effectivement devant Hanne par les, Romains, selon le récit de Jean 18, 12. Cette confrontation, qui n'aboutit à rien et n'a aucune valeur juridique du point de vue Juif, peut s'expliquer par la surprise des Romains. On leur dénonce un rebelle se prétendant Messie, et ils n'ont rien trouvé de sérieux. Qu'est-ce que cette histoire ? Abusé par le titre du « Grand-Prêtre », Marc a transformé la confrontation en comparution et en procès, juridiquement impossible.

Toute l'attitude de Pilate par la suite peut s'expliquer par le désir d'être « couvert ». Il ne veut pas risquer des ennuis avec une condamnation qui pourrait lui être reprochée. Mais il obtient une manifestation de loyalisme envers César, nécessitant l'élimination de Jésus ; il risque donc davantage en le protégeant... Après tout, il s'en lave les mains ; il en a fait exécuter bien d'autres.

On peut aller peut-être un peu plus loin. Le vrai nom de Barabbas était Jésus ; le nôtre était celui « qu'on appelait le Christ» (14), pour Pilate (15). Jésus a pu être la victime d'une confusion provoquée notamment par Hanne.
(14) Matthieu 27, 17 ; 27, 22. Luc 23, 2. Si l'on pense au texte de Tacite, Christ est bien devenu pour les Romains le nom propre de Jésus. C'est, nous semble-t-il, un indice d'authenticité en substance pour le texte de Luc 23, 2. (15) Voir Goguel, Jésus, p. 382, n. 4, et l'appareil critique sur Matth. 27, 16-17.

On peut laisser le dernier mot au centurion qui commanda l'exécution de Jésus. « Assurément, cet homme était juste ». (Luc 23-47). Il est arrivé qu'un bourreau rendit hommage au supplicié. En des temps récents, pensons à Dietrich Bonhoeffer.

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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 18:51

par Maurice Causse

 
Ndlr - Ce texte écrit en 1978, qui a plus de 30 ans d’âge, a été publié dans les « Cahiers bibliques » n° 5, novembre 1978 par la revue régionale « Le Protestant de l’Ouest ». Il se veut pédagogique afin d’assurer un enseignement sincère aux enfants et aux jeunes des écoles du dimanche de l’Eglise réformée de France (ERF) dont l’auteur, qui habite à Saintes, est membre. Il a été récemment mis en ligne sur le blog personnel de l’auteur, le 6 janvier 2013 (lien). A notre avis, il n’a pas pris une ride ; mieux, il explique très bien la dimension eschatologique de Jésus, sans quoi on ne peut rien comprendre à son destin. Avec les textes de Louis Cornu, nous avons déjà insisté sur la nécessité impérieuse de la prendre en compte : Jésus lutte contre les Romains pour libérer son peuple avec les armes de l’eschatologie ; il est persuadé d’être le oint choisi par Dieu pour préparer ses compatriotes à la Fin des temps. Cette approche étant principale, l’auteur a intitulé tout simplement son texte « Jésus » ; nous avons toutefois préféré valoriser sa première partie qui porte directement sur le procès de Jésus et sa passion car le portrait de Jésus dessiné par l’auteur y est très étroitement lié. Nous remercions Maurice Causse pour l'autorisation accordée de la reproduction de son texte sur notre site.


Introduction de l’auteur (extraits) :


Ce texte suscita, quand il parut, un certain intérêt dans la région Ouest, et un certain nombre de lecteurs demandèrent une rencontre avec l'auteur sur ce sujet au Centre protestant de Celles-sur-Belle, suggestion écartée par l'autorité responsable. Par la suite, il sera publié en feuilleton dans Evangile et Liberté. Depuis 35 ans, l'Histoire a fait des progrès, en particulier dans la connaissance du contexte palestinien de l'époque, notamment grâce aux manuscrits de la Mer Morte. Nous ne nous présentions pas en spécialiste du sujet, mais en responsable pastoral soucieux de tenir son catéchisme au courant de ce que la science historique reconnaît comme acquis. Il s'agit de l'honnêteté due aux enfants et à tous ceux qui vous font confiance, car ce qu'ils pensent de Jésus orientera leur vie. Si l'occasion m'est donnée de mettre à jour ce travail, ce sera l'occasion d'utiliser les beaux travaux récents de Katel Berthelot, Christian Amphoux, Rémy Gounelle, Thomas Römer, et sûrement d'autres, dans la pleine confiance que la vraie foi ne craint pas la vérité historique.

 

Au reste, qui pourrait dire que changera vraiment le portrait de Jésus offert par les quatre évangiles canoniques ? La raison en est simple, et elle est donnée une fois pour toutes par Maurice Goguel dans sa préface à la traduction de la « Bible du centenaire » : ce qui a déterminé le choix des quatre évangiles comme canoniques fut précisément leur fiabilité sur le plan de l'Histoire, telle qu'elle était comprise dans les deux ou trois premiers siècles de l'Eglise chrétienne. Cela dit, notre texte de 1978 est reproduit tel quel. […] Ndlr – puis l’auteur développe l’intérêt pastoral de son travail ; nous renvoyons au texte original publié sur son blog personnel sus-mentionné.


Dans tout procès, se déroule un drame à trois personnages - si l'on essaye d'oublier le public:  le juge, l'accusateur, et les avocats, ceux que l'argot des prisons appelle les « bavards ». Ces personnages font un peu oublier l'accusé. Or c'est lui, l'accusé Jésus, qu'il nous faut tâcher de retrouver, au-delà de la défense, éloquente et passionnée, de millions de «bavards».

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14 mai 2013 2 14 /05 /mai /2013 18:44

victor_hugo_les-miserables.jpgEtait-ce un rêve ? Etais-je éveillé ? Jugez-en.
Un homme, - était-il grec, juif, chinois, turc, persan ?
Un membre du parti de l’ordre, véridique
Et grave, me disait : - cette mort juridique
Frappant ce charlatan, anarchiste éhonté,
Est juste. Il faut que l’ordre et que l’autorité
Se défendent. Comment souffrir qu’on les discute ?
D’ailleurs les lois sont là pour qu’on les exécute.
Il est des vérités éternelles qu’il faut
Faire prévaloir, fût-ce au prix de l’échafaud.

Ce novateur prêchait une philosophie :
Amour, progrès, mots creux, et dont je me méfie.
Il raillait notre culte antique et vénéré.
Cet homme était de ceux qui n’ont rien de sacré,
Il ne respectait rien de tout ce qu’on respecte.
Pour leur inoculer sa doctrine suspecte,
Il allait ramassant dans les plus méchants lieux
Des bouviers, des pêcheurs, des drôles bilieux,
D’immondes va-nu-pieds n’ayant ni sous ni maille :
Il faisait son cénacle avec cette canaille.

Il ne s’adressait pas à l’homme intelligent,
Sage, honorable, ayant des rentes, de l’argent,
Du bien ; il n’avait garde ; il égarait les masses ;
Avec des doigts levés en l’air et des grimaces,
Il prétendait guérir malades et blessés,
Contrairement aux lois. Mais ce n’est pas assez :
L’imposteur, s’il vous plaît, tirait les morts des fosses.
Il prenait de faux noms et des qualités fausses ;
Il se faisait passer pour ce qu’il n’était pas.
Il errait au hasard, disant : - Suivez mes pas, -
Tantôt dans la campagne et tantôt dans la ville.
N’est-ce pas exciter à la guerre civile,
Au mépris, à la haine entre les citoyens ?

On voyait accourir vers lui d’affreux païens,
Couchant dans les fossés et dans les fours à plâtre,
L’un boiteux, l’autre sourd, l’autre un œil sous l’emplâtre,
L’autre raclant sa plaie avec un vieux tesson.
L’honnête homme indigné rentrait dans sa maison
Quand ce jongleur passait avec cette séquelle.

Dans une fête, un jour, je ne sais plus laquelle,
Cet homme prit un fouet, et criant, déclamant,
Il se mit à chasser, mais fort brutalement,
Des marchants patentés, le fait est authentique,
Très braves gens tenant sur le parvis boutique,
Avec permission, ce qui, je crois, suffit,
Du clergé qui touchait sa part de leur profit.

Il traînait à sa suite une espèce de fille.
Il allait pérorant, ébranlant la famille,
Et la religion, et la société ;
Il sapait la morale et la propriété ;
Le peuple le suivait, laissant les champs en friche ;
C’était fort dangereux. Il attaquait les riches,
Il flagornait les pauvre, affirmant qu’ici-bas
Les hommes sont égaux et frères, qu’il n’est pas
De grands ni de petits, d’esclaves ni de maîtres,
Que le fruit de la terre est à tous ; quant aux prêtres,
Il les déchirait ; bref, il blasphémait. Cela
Dans la rue. Il contait toutes ces horreurs-là
Aux premiers gueux venus, sans cape et sans semelles.
Il fallait en finir, les lois étaient formelles,
On l’a crucifié. –

Ce mot, dit d’un air doux,

Me frappa. Je lui dis : - mais qui êtes-vous ?
Il répondit : - vraiment, il fallait un exemple.
Je m’appelle Elizab, je suis scribe du temple.
- Et de qui parlez-vous, demandais-je ? – Il reprit :
- Mais ! de ce vagabond qu’on nomme Jésus-Christ.

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3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 00:34

Une Eglise catholique sans pape ? par Eduardo Hoornaert, traduit en français par Alder Calado (catholique brésilien), diffusé dans le réseau IMWAC (International Movement We Are Church ; en France NSAE : Nous sommes aussi l'Eglise), et diffusé au sein du groupe des correspondants de la Fédération des réseaux du Parvis par Didier Vanhoutte le 28 février 2013.

Ce texte, motivé par la démission de Benoît XVI annoncée le 11 février 2013, fait un historique de l'institution épiscopale et de la papauté ; il se termine par le souhait que les conférences épiscopales régionales puissent avoir davantage d'autonomie .. peut-être jusqu'à atténuer (voir rendre caduc ?) un pouvoir central que certains jugent excessif. Nous en publions de larges extraits dans notre rubrique consacrée au christianisme épiscopal.

 

1. La papauté

La papauté est une réalité qui ne fait pas partie des origines du christianisme ; le terme « pape », n'apparaît pas dans les écrits du Nouveau Testament. Le verset de l'évangile de Matthieu « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église »: (16, 18), est traditionnellement évoqué pour légitimer la papauté.  Il convient cependant de rappeler  que l'exégèse actuelle ne cesse de dire que l'on ne peut isoler un texte littéraire de son ensemble et d’en faire un oracle. C’est ce qui se produit avec ce verset. Mais quand on lit les textes des évangiles dans leur entièreté, on comprend sans difficulté qu'il est absurde de penser que Jésus ait prévu une dynastie apostolique du genre corporatif, avec la succession du pouvoir par transmission rituelle. L’expression « tu es Pierre » n'a rien à voir avec l'institution de la papauté. Notre lecture habituelle provient des écrits de l’évêque Eusèbe de Césarée, théoricien de la politique universaliste de l'empereur Constantin, au IVe siècle. Il a entrepris de composer des listes d’évêques successifs (succession apostolique) pour les principales villes de l’empire romain, souvent sans vérifier l'exactitude des données historiques qu’il propose. Son intention était d’adapter le christianisme au système romain de gouvernement. Eusèbe est à l’origine de l'image : ‘Pierre-pape’.

Aujourd’hui, les historiens regardent dans une autre direction et étudient l’émergence de la papauté dans l’optique de la religiosité populaire. Ainsi le mot « pape » (pope), qui provient du grec populaire du IIIe siècle et est un terme dérivé du mot grec « pater » (père), exprime l'affection que les chrétiens cultivaient pour certains évêques ou prêtres. Le terme est entré dans le vocabulaire des Eglises orthodoxes et catholiques. Dans la Russie traditionnelle de nos jours, le pasteur de la communauté est appelé « pope ». Les documents nous montrent que le premier évêque à être appelé « pape » a été Cyprien, évêque de Carthage entre 248 et 258, et que le terme n'est apparu que tardivement dans les écrits de Rome. En effet, le premier évêque de Rome à recevoir officiellement le titre de « pape » est Jean I, au VIe siècle.


2. L'épiscopat

Par contre, l'institution épiscopale a de solides racines dans les écrits du nouveau testament. Le terme   « évêque » (« surveillant ») se réfère à une fonction du système juif des synagogues et se retrouve à plusieurs reprises dans les textes chrétiens (1 Timothée 3, 1-2 ; Titus 1, 7 ; 1 Pierre 2 et à 20, 25, 29). Dans les synagogues juives, l' « episcopos » était responsable du bon ordre des réunions. C’est pourquoi, les premières communautés chrétiennes ont adopté et adapté le nom et la fonction : episcopos.


3. La lutte pour l’hégémonie

Au IIIe siècle s’est déclenchée, entre les évêques des quatre principales villes de l'Empire romain (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Rome), une lutte à répétition autour de la suprématie du pouvoir. Cette lutte a été particulièrement dramatique dans la partie orientale de l'Empire, où l’on parlait la langue grecque. Les évêques en litige étaient appelés « patriarches », un terme qui associe le grec « pater » avec le pouvoir politique (« arché », qui, en grec signifie « pouvoir »). Le patriarche est en même temps père et dirigeant politique. Au début, Rome n'a pas joué un rôle important dans ce conflit, car la ville était située loin des grands centres du pouvoir et on y parlait le latin, une langue moins universelle qui était utilisée uniquement dans l'administration et dans l'armée de l’empire romain.  Jérusalem, ville ‘bercail’ du mouvement chrétien, était également hors concours, étant une ville de peu d'importance politique.

Malgré tout, Rome est parvenu à s´imposer dans la région occidentale de l'empire romain. [A Carthage], l’évêque Cyprien, déjà cité, a réagi énergiquement aux prétentions hégémoniques de l'évêque de Rome et insistait : il y a parmi les évêques une "égalité complète de fonctions et de pouvoir". Mais le cours de l'histoire fut impitoyable. Les patriarches de Rome ont réussi à étendre leur autorité se distançant toujours plus de leurs collègues orientaux, surtout après l'alliance conclue avec la puissance germanique qui était en plein essor (Charlemagne, 800). Les relations avec les patriarches de l'Est (en particulier avec le patriarche de Constantinople) devenaient toujours plus tendues jusqu'à la rupture en 1054. Ici commence l'histoire de l'Eglise catholique romaine proprement dite.


vatican.gif

4. La force de la papauté

Ayant le contrôle des affaires en Occident, Rome met en œuvre «l´art de la cour», qu’elle a apprise au contact des usages en vogue à Constantinople. Depuis lors, quasi tous les gouvernements de l´Europe occidentale ont appris à Rome (ou de Rome) l´art de la diplomatie. Il s´agit d´un art peu édifiant, qui implique l´hypocrisie, l’art des apparences, des habiletés dans les rapports avec le peuple : l´impunité, le secret gardé, le langage codifié (inaccessible aux fidèles), le rôle de l’affectif dans la piété, la cruauté enrobée d’un voile de charité; l’accumulation de ressources financières, d’ indulgences; la menace de l´enfer, la pastorale de la peur, etc. L’ «Histoire criminelle du christianisme» (en 10 volumes), que l´historien K. Deschner vient de terminer, décrit en détails cet art papal par excellence.

C’est notamment grâce à cet art diplomatique que le pape est parvenu à accumuler des réussites énormes, au cours du Moyen âge. Rome a su faire face, avec succès, aux plus grandes puissances de l´époque (Canossa, 1077). Ce qui a eu pour effet qu’elle a été affectée, d´après l´expression de l’historien Toynbee, de «l´ivresse de la victoire». Le pape perd graduellement le contact avec la réalité et commence à vivre dans un monde irréel, où des expressions surnaturelles (que personne ne comprend) font nombre. Comme l´a bien remarqué Ivone Gebara, quelques-unes de ces expressions restent en vigueur aujourd’hui, par exemple, lorsqu’on dit que l´Esprit Saint est à l’œuvre dans l’élection du prochain pape. [...]

 

5. Aujourd´hui, la papauté est un problème

[...] En Amérique latine, on a eu récemment, outre les évêques-martyrs Romero et Angelelli, une génération d´évêques exceptionnels (entre les années 1960 et 1990). Voulant renforcer le pouvoir épiscopal vis-à-vis du pouvoir papal, le concilie Vatican II a avancé l´idée de la collégialité épiscopale, sans récolter beaucoup de succès jusqu’à maintenant. Mais on continue à dire que le catholicisme est plus important que le pape et que les valeurs diffusées par le catholicisme sont plus importantes que l'actuel système du gouvernement de l’Eglise catholique.


6. L´Eglise catholique peut-elle survivre sans pape ?

[...] En général, on observe aujourd’hui un mouvement vers plus de démocratie et de participation sociale. Tôt ou tard, l´Eglise catholique devra faire face à la question de la papauté et penser un système de gouvernement central plus en consonnance avec les aspirations des générations qui se succèdent. Cependant, les moyens de communication de masse peuvent faire obstacle ; le succès énorme qu’ils ont emmagasiné, il y a quelques années, lors des transmissions autour de la mort et de la sépulture du pape Jean-Paul II ont appris que l’image du pape ‘se vend bien’.

Et, malgré tout, une nouvelle ère pointe à l’horizon. J’apporte ici deux exemples récents d’évêques qui ont compris le problème et se sont manifestés. Peu de gens savent qu’autour des années 1980, le cardinal Aloisio Lorscheider a discuté avec le pape Jean Paul II au sujet de la décentralisation du gouvernement de l´église catholique, mais il n’existe pas d´écrit ni d’enregistrement photographique de cette discussion. Il semble que le pape s’est montré ouvert aux suggestions du cardinal brésilien, puisqu’on peut lire dans son encyclique «ut unum sint» qu’il se montre conscient du problème. Ce point est commenté par Joseph Comblin dans un de ses derniers textes, intitulé «Problèmes de gouvernement dans l’Eglise » (voir sur internet). Je pense que le pape Jean Paul II n´a pas avancé dans ce domaine parce qu´il ne percevait pas, dans l´église, un réel mouvement vers la décentralisation. S’il est ainsi, il paraît clair, que le problème provient de l’image de la papauté crée et soutenue par la culture dominante.

Un exemple très différent, mais qui va dans le même sens, vient d’un autre évêque brésilien, Helder Câmara. Arrivé à Rome pour participer au concile Vatican II, il s’étonne devant le comportement des évêques de la ‘cour romaine’, au point d´en avoir des hallucinations, comme il raconte dans ses «lettres circulaires». Une fois, à l'occasion d´une session dans la basilique de saint Pierre, il ‘voit’ l´empereur Constantin envahir l´église au galop, sur son cheval. Une autre fois, il rêve que le pape est devenu fou et qu’il jette sa tiare dans le Tibre et met le feu au Vatican. Dans des conversations privées, Don Helder disait que le pape ferait bien de vendre le Vatican à l´Unesco et de louer un appartement au centre de Rome. J´ai pu vérifier personnellement, en différentes occasions, que Monseigneur Helder Câmara détestait le "sigile papal", l'un des instruments du pouvoir romain). En même temps, l’évêque de Récife entretenait une sincère amitié avec le pape Paul VI, ce qui montre, que le problème n´est pas la personne du pape, mais plutôt la papauté en tant qu´institution.

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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 05:40

main de fatma et mondeLe site du Conseil des unitariens et des universalistes français (CUUF), "Unitariens français", prend le relai des Etudes unitariennes pour héberger le site des Amitiés islamo-unitariennes. Il ne s'agit pas d'un transfert (les textes déjà publiés restant ici), mais d'un relai. Donc rendez-vous à nos visiteurs à la rubrique "AIU Amitiés islamo-unitariennes" du site du CUUF (lien) où ils pourront trouver de nouveaux articles et documents.

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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 03:12

Avec les missions de Paul, la rapide christianisation de l'Asie mineure (Ier et IIème siècle), la vitalité de la pensée des Pères grecs et latins, et le développement de la papauté romaine, on a souvent une vue déséquilibrée de l'expansion du christianisme en oubliant ce qui s'est passé vers l'Est. Or l'Eglise perse, de théologie nestorienne, fut la grande Église d’Orient qui compta à son apogée, au XIIIème siècle, plus de chrétiens que Rome et Byzance réunies.

eglise_perse.jpg

Carte publiée par La Croix.com du vendredi 4 janvier 2013 en rapport à la fête de l'Epiphanie, laquelle commémore la venue légendaire des mages d'Orient à Jérusalem. Les mages étaient des prêtres zoroastriens qui auscultaient les signes du ciel du haut des ziggourats.

 

Marco Polo (1254-1324) mentionna toutes les communautés nestoriennes qu'il rencontra lors de son voyage vers la Chine en suivant la route de la soie : "Il y a une race de gens qui suivent le loi chrétienne, mais non pas ce que commande l'Eglise de Rome, car ils se trompent en plusieurs choses. Ils sont appelés nestoriens. Ils ont un patriarche qu'ils appellent catholicos, et ce patriarche fait des archevêques et les évêques, les abbés et autres prélats, et les envoie partout prêcher, en Inde et en Chine ..." (cartouche au coin en bas et à gauche de la carte).

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 12:46

L'Évangile selon Jean, chapitre 13:1-15 nous propose le récit suivant :

lavement_des_pieds_Meister_des_Hausbuches.jpg« Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. Pendant le souper, lorsque le diable avait déjà inspiré au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu’il était venu de Dieu, et qu’il s’en allait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et prit un linge, dont il se ceignit. Ensuite il versa de l’eau dans un bassin, et il se mit à laver les pieds des disciples, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.


Scène de lavement des pieds : panneau gauche d'un retable de la Passion du Christ, Maître du Livre de raison (Meister des Hausbuche), v. 1475, huile et tempera sur bois, Gemäldegalerie de Berlin

 

« Il vint donc à Simon Pierre ; et Pierre lui dit : Toi, Seigneur, tu me laves les pieds ! Jésus lui répondit : Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras bientôt. Pierre lui dit : Non, jamais tu ne me laveras les pieds. Jésus lui répondit : Si je ne te lave, tu n’auras point de part avec moi. Simon Pierre lui dit : Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête. Jésus lui dit : Celui qui est lavé n’a besoin que de se laver les pieds pour être entièrement pur ; et vous êtes purs, mais non pas tous. Car il connaissait celui qui le livrait ; c’est pourquoi il dit : Vous n’êtes pas tous purs. Après qu’il leur eut lavé les pieds, et qu’il eut pris ses vêtements, il se remit à table, et leur dit : Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur ; et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé. Si vous savez ces choses, vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez

 

Jusqu'à présent, le lavement des pieds était un geste d’accueil et d’hospitalité, pouvant revêtir un aspect plus cérémonial lorsqu'il se voulait particulièrement honorifique vis-à-vis d’un hôte que l’on recevait. Pour Jésus, si l'on en croit ce texte, s'y ajoute d'autres sens :

a) un rite de purification : rite de passage eschatologique pour entrer dans le Royaume ? reprise du rite baptismal sous une autre forme par l’évangéliste Jean ? (saint Augustin insistera sur la purification de nos péchés par ce rituel – voir une longue citation de lui dans Wikipedia, lien).

b) un geste d’inversion sociale : le responsable se fait serviteur et accepte même les rôles dévolus aux esclaves. Dans nos communautés, les responsables sont au service des autres (et non l’inverse). Et plus largement, c'est une invitation à se laver les pieds les uns les autres dans une relation fraternelle de service mutuelle.

c) un geste d’amour de haut en bas (« Jésus vis-à-vis des siens »), Jésus pour Jean l’évangéliste est le Fils unique, Bien aimé de Dieu (attention ! pas encore Dieu, mais auprès de Dieu).

d) nous sommes invités à transmettre ce rituel.


Jésus a-t-il réellement fait ce geste ? Seul Jean l'évangéliste le mentionne ! Ni les Actes des apôtres, ni la Didachée n’en parle en ce qui concerne les premières communautés. Paul, évoque bien le fait que les veuves étaient invitées à laver les pieds des "saints", ces veuves étant riches et devant aider les autres, mais ce passage ne dit rien sur les apôtres, anciens, presbytes, etc.


Première épître à Timothée (5:10) : « Une veuve, pour être inscrite sur le rôle doit être âgée de soixante ans au moins, avoir été mariée une seule fois, être réputée pour ses bonnes œuvres, comme ayant élevé des enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints, assisté les malheureux, pratiqué toute bonne œuvre».


On est manifestement face à un texte placé là par opposition aux synoptiques puisqu’il est parallèle au récit de la communion en le situant exactement dans le même contexte (un repas pascal pris dans une chambre haute du quartier des Esséniens, sans doute dans la maison du Disciple que Jésus aimait, laquelle sera connue dans la tradition chrétienne comme « le Cénacle ») et en mentionnant que l’heure était venue pour Jésus de « passer de ce monde vers le Père » (Jn 13, 1) et que l’un des Douze allait le trahir. Par contre, Jean l’évangéliste a placé une explication de la communion du pain (vrai corps de Jésus) et du vin (son vrai sang) bien avant, à la synagogue de Capharnaüm (Jn 6, 22-59), le lendemain du grand rassemblement près de Bethsaïda où Jésus multiplia à profusion 5 pains d’orge et 2 poissons (Jn 6, 1-15) * – ce qui laisse supposer qu’il considère que ce partage fut déjà le rituel de la communion. Manifestement, les propos qu’il attribue alors à Jésus ne collent pas du tout avec le contexte et sont plutôt l’écho des vives polémiques de la fin du Ier siècle (la rédaction définitive de l’évangile de Jean est datée vers 90) entre Juifs et chrétiens à propos de la communion, les premiers ne pouvant que s’étonner d’un acte de cannibalisme rituel, fut-il symbolique !

* les synoptiques présentent deux récits tout à fait semblables : d'abord Mt 14, 13-21 ; Mc 6, 30-44 ; Lc 9, 10-17, puis une répétition d'une seconde séance de multipplication avec Matthieu (Mt 15, 32-39) ; et Marc (Mc 8, 1-10).

 

Revenons au lavement des pieds. Si l’on peut douter de l’historicité du récit de Jean l’évangéliste, par contre il connaîtra un succès postérieur indéniable. Jean Chrysostome (né entre 344 et 3491, mort en 407), choisi archevêque de Constantinople par l’empereur byzantin en 397, puis exilé en 404, et l’un des principaux Pères de l’Eglise grecque, pour qui le service aux plus pauvres étaient « le sacrement du frère ») (Wikipedia, lien) rappelle à ses contemporains – et aux gens de la cour impériale byzantine - cette scène exemplaire.


lavement_des_pieds_psautier-de-Theodore.jpg

Un manuscrit ancien byzantin de Constantinople montre une enluminure du lavement des pieds comme illustration du psaume pénitentiel 50 : « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense ». Psautier de Théodore, psaume 50, British Museum, Monastère du Stoudion de Constantinople.

 

« Où sont-ils maintenant ceux qui ne font aucun cas de leurs frères en servitude ? Où sont-ils ceux qui veulent être honorés ? ... Lavons-nous les pieds les uns aux autres, dit le Sauveur, lavons même ceux de nos serviteurs. Et qu’y a-t-il de si grand à laver même les pieds de nos serviteurs ? Parmi nous toute la différence entre le libre et l’esclave n’est que de nom, mais à l’égard de Jésus-Christ, elle est réelle et véritable. Il est le Seigneur par nature, et nous, par nature, nous sommes des serviteurs et des esclaves, et cependant celui qui est le vrai Seigneur n’a pas dédaigné de faire une action si basse et si humiliante. Mais aujourd’hui il faut se tenir pour content si nous traitons des hommes libres comme des serviteurs et des esclaves achetés au marché ».


Jean Chrysostome était éloquent ; si bien que ses auditeurs l’appelait « la bouche d’or ». Son influence fut considérable. Lorsqu’il ordonne le retour des reliques de saint Phocas, l'impératrice Eudoxie, épouse d'Arcadius, l’empereur régnant, se charge en personne de porter la châsse à travers la ville, ce dont il la remercie ensuite vivement dans une homélie.


L’Eglise institue la cérémonie du lavement des pieds chaque Jeudi saint, sans toutefois en faire un sacrement comme l’est la communion (mais saint Bernard, la considérait comme un sacrement au même titre que le baptême, la confirmation et la communion). Après l'ablution, l'évêque baisait les pieds et, en certains lieux, posait, à trois reprises, par humilité, les talons du catéchumène sur sa tête. C’est un rappel aux grands de ce monde à l’humilité chrétienne et au service des plus petits, à commencer par les dignitaires de l’Eglise (pape, patriarches et archevêques, évêques, supérieurs de communautés monastiques, etc.), puis aux rois et aux princes.


Par contre, la Réforme calviniste va rompre avec cette tradition. Calvin tourna en ridicule la cérémonie catholique : « Tous les ans, ils auront une manière de faire, qu'ils lavent les pieds à quelques gens comme s'ils jouaient une farce sur une scène ... Le vrai sens de l'ordre de Jésus est que nous soyons à toute heure et en tout temps de notre vie, à laver les pieds de nos frères et de nos prochains. » (Commentaire sur l'Évangile de Jean). Si bien que les Eglises anti-trinitaires du XVIème siècle, dérivées du calvinisme ne retinrent pas, elles non plus, ce rituel.


D'autres protestants maintiennent cette tradition. Pour l’anecdote, une secte anabaptiste (en Hollande) en rajouta même : « Il s'éleva au seizième siècle une secte d'anabaptistes qui se donnèrent le nom de podonipsiae * et qui, faisant profession d'observer à la lettre tous les préceptes du Sauveur, soutenaient que la podonipsia était la véritable et essentielle tessère ** de la religion chrétienne, et même, si l'on en croit leurs principales confessions, celle de Dordrecht notamment, un sacrement établi pour la rémission des péchés » (Bayle ; Dict. liist. art. Anabaptistes).

* Le lavement des pieds est appelé podonipsia en grec (de ποδοι / podoi, « pieds » et νιψειν / nipsein, « laver »)

** Dans la Rome antique, les tessères étaient des tablettes et des jetons qui servaient à divers usages, par exemple un jeton d’entrée au théâtre. Une tessère militaire portait le mot d’ordre ou les ordres eux-mêmes. Etc.

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 09:46

On en trouve des exemples dans la plus haute Antiquité, puisqu'alors on marchait les pieds nus ou couverts de simples sandales : un hôte fournissait l'eau et un serviteur pour laver les pieds des invités. Geste d'accueil et d'hospitalité, avant même que le visiteur n'ait décliné son identité et qu'il n'ait dit le pourquoi de sa venue ou de son passage ; geste qui se veut aussi honorifique. Chez les Grecs par exemple, une telle scène est décrite dans l’Odyssée (roman grec écrit par Homère), quand Euryclée, la nourrice d'Ulysse, lui lave les pieds. Elle le reconnaît alors à une blessure que ce dernier s'était faite lors d'une chasse aux sangliers !


Cette coutume est aussi mentionnée à plusieurs endroits dans l'Ancien Testament. Au lieu dit Chêne de Mambré, Abraham reçoit trois visiteurs inconnus (en qui il voit des anges envoyés par Dieu) : "Qu'on apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l'arbre. Que j'aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le coeur avant d'aller plus loin ; c'est bien pour cela que vous êtes passés près de votre serviteur !" (Gn 18, 1-15). De même, son neveu Lot, à Sodome, invite les "deux Anges" à venir chez lui "Je vous en prie Messeigneurs ! Veuillez descendre chez votre serviteur pour y passer la nuit et vous laver les pieds, puis au matin vous reprendrez votre route" (Gn 19, 1-3).


Isaac, fils d'Abraham, est reçu chez Laban à Haran, au pays de ses pères, afin de lui demander la main de sa fille, Rachel (dont il vient de faire tout juste la connaissance autour d'un puit) : "L'homme [Isaac] vint à la maison et Laban débâta les chameaux, il donna de la paille et du fourrage aux chameaux et, pour lui et les hommes qui l'accompagnaient, de l'eau pour se laver les pieds. On lui présenta à manger ..." (Gn 24, 1-33).


Joseph, fils de Jacob, devenu grand intendant en Egypte, reçoit ainsi ses frères, lorsqu'ils dînèrent avec lui  (Genèse 43, 24) : « L’homme fit entrer tous les frères chez Joseph. On leur apporta de l'eau pour se laver les pieds et on donna du fourrage à leurs ânes ».


Le futur roi David monte une expédition contre Nabal, un chef voisin et riche propriétaire en pays Moab, qui a mal reçu ses serviteurs (faut dire qu'ils étaient venus quémander ! ),  Abigaïl en désaccord avec son mari, va le trahir et peut-être l'empoisonner durant un repas où Nabal mangeât de trop ! David, cherchant à élargir son influence de chef de bande et peut-être déjà fidèle à sa réputation de coureur de jupons, propose à la toute récente veuve de la consoler en mariage. Celle-ci se montre  parfaitement consentante et sera sa seconde femme. Elle se proterne face contre terre à l'arrivée des serviteurs de David et leur dit "Ta servante est comme une esclave, pour laver les pieds des serviteurs de Monseigneur" (I Samuel, 25-43).  Le psaume 108 fera-t-il allusion à cette scène lorsque Dieu (Elohim parlant en son sanctuaire) appelle Moab « le bassin où je me lave » ? ("Moab, pot de mon bain" dans la traduction d'André Chouraqui).


philippelejeune1992.jpgL’onction à Béthanie, par Philippe Lejeune catalogue 1992, icône à fond d'or, détrempe à l’œuf sur bois, s.d.) (lien).


Dans les quatre évangiles, on retiendra le célèbre et émouvant geste de la femme oignant la tête et les pieds de Jésus de parfum ... et  baignant les pieds de ses larmes (mais seul Luc 7,38 nous le dit, et de préciser qu'il s'agissait d'une "pècheresse dans la ville"). La scène se passe à Béthanie, chez Simon le lépreux (Mt. 26, 6 ; Mc 14, 3) ou Simon le pharisien (Lc 7, 36-40), ou encore chez Marthe, sa soeur Marie et son frère Lazare et dans ce cas le geste est de Marie (Jn 12, 1-8).


Continuons avec Luc seul : Jésus s’adresse à Simon, le pharisien qui l’a invité. Il lui fait le reproche de ne l’avoir pas accueilli selon les règles, tandis que la femme, qui pleure sur ses pieds, le fait à sa manière : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi et tu ne m'as pas donné d'eau pour mes pieds ; mais elle m'a lavé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas reçu en m'embrassant; mais elle n'a pas cessé de m'embrasser les pieds depuis que je suis entré. Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête ; mais elle a répandu du parfum sur mes pieds. » (Lc 7, 44-46).

 

Dans les autres évangiles (Matthieu, Marc et Jean), c'est l'annonce de sa mort et l'acceptation d'un hommage : des pauvres vous en aurez toujours, mais moi, bientôt, vous ne m'aurez plus ...

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14 décembre 2012 5 14 /12 /décembre /2012 05:16

La déduction consiste à enchaîner des nouvelles propositions à partir des vérités précédemment admises. Il en est ainsi des mathématiques qui, à partir d’axiomes posés comme des points de départ - qui eux ne sont pas démontrées - , conduit à des développements de plus en plus complexes. On peut bien entendu changer d’axiomes et obtenir d’autres mathématiques, etc. La déduction pourra être de type linéaire. Le discours cartésien emprunte cette méthode à partir de l’évidence (pour Descartes) : « Je pense donc je suis ». Pour les théologiens, le point de départ est l’existence de Dieu. Une fois que vous avez accepté le ou les points de départ, vous êtes mis en quelque sorte sur rail, obligés d’aller jusqu’au bout de la logique dès lors que vous avez souscrits à ses prémisses.


Les dogmes catholiques se déduisent ainsi les uns des autres avec une parfaite logique. Voyez plutôt :

Le début de la Genèse nous dit qu’il y avait un paradis où l’Homme vivait heureux en compagnie de Dieu, en toute éternité et en toute innocence et ignorance (Dieu se réservant la connaissance du Bien et du Mal). Voulant s’égaler à Dieu qui jouit de cette connaissance, les premiers hommes furent chasser de ce paradis : ce fut la Chute où ils tombèrent dans le péché, connurent désormais la mort et durent travailler dur dur pour survivre ! Le Royaume de Dieu prêché par Jésus vaut des retrouvailles sur fond de rédemption : Dieu nous pardonne et rétablit ce paradis originel. Ce sera à la Fin des temps, après un Jugement dernier (croyance eschatologique que les Juifs en exode à Babylone empruntèrent aux zoroastriens de Perse). Le Moonisme fonde précisément sa doctrine sur cette restauration du Paradis qui est l’œuvre cosmique des messies (et après Jean Baptiste et Jésus qui ont échoué car n’ayant pas réussi à convaincre les élites de leur temps, c’est au tour du révérend Moon – et maintenant de ses successeurs – d’opérer en ce sens) (voir notre rubrique « Le messianisme de Moon » dans les Actualités unitariennes, lien)

Cette espérance eschatologique est partagée par tous les chrétiens, du moins toutes les Eglises, sauf la mouvance unitarienne qui est discrète en ce qui concerne la résurrection pascale proprement dite (même si la fête pascale est maintenue comme fête du printemps). Pour la révérende Maria Pap, le vendredi saint où nous célébrons la mort de Jésus est d’ailleurs plus important que le jour même de Pâque : « Le saint malfaiteur (Luc 23, 38-43) » publié le 3 avril 2010 sur le site de l’Eglise unitarienne francophone (lien) où elle dispose d'une chaire (rubrique : « la chaire du pasteur »),

shadok_intelligent.jpgLe point de départ de la dogmatique catholique se trouve d’une part dans la divinisation de Jésus (c’est chose faite au tout début du IIème siècle au vue des épîtres de l’évêque Ignace d’Antioche), dont le corps a été ressuscité par Dieu et qui est monté au Ciel avec ce corps intact (l’Ascension), d’autre part dans la rhétorique de Paul qui, dans l’épître qu’il adresse aux Romains (5, 12-20), met en parallèle l’Adam de la Genèse – qui a chuté – et Jésus qui, pour nous, est un nouvel Adam nous réintroduisant au Paradis ! Belle rhétorique d’un prédicateur, mais qui a été prise pour argent comptant par les théologiens ! Le Péché originel était né et promis à un bel avenir !

Dès lors, le train dogmatique peut démarrer. Marie, mère de Jésus, devient ipso facto mère de Dieu (Théodokos). Mais ayant porté en son sein Dieu, elle a dû auparavant être dispensée du Péché originel car Dieu ne saurait cohabiter avec une telle souillure. N’ayant pas été baptisée – et donc lavée de ce péché – il a fallu que, par grâce toute spéciale, elle fut dispensée à sa propre naissance de ce péché inter-générationnel pour être à même de pouvoir enfanter Dieu : elle est donc NECESSAIREMENT « immaculée conception ».

Enfin, la conception de Jésus a été « virginale », Marie restant vierge de tout contact sexuel de nature humaine – c’est, entre autres, ce que Luc recueille au cours de ses enquêtes (Lc 1, 3 « … après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines »). L’Eglise catholique affirme en plus que Marie est restée vierge (elle est à tout jamais la Vierge Marie), nonobstant les frères et sœurs de Jésus qui sont cités dans les évangiles, mais qu’elle considère seulement comme des cousins ou encore comme des enfants que Joseph aurait eus d’un mariage antérieur (donc demi-frères et demi-sœurs en l’occurrence).

Le corps de Marie, si pur et sanctifié en plus par cette présence divine en son sein, n’a pas pu être livré à la décomposition que connaît tout cadavre. A sa mort, son corps, par grâce spéciale, devançant en quelque sorte la résurrection des corps lors du Jugement dernier, a accompagné son âme – c’est la Dormition chez les orthodoxes et l’Assomption chez les catholiques.

Le culte marial découle de tout cela et, dans cette logique, on ne comprend pas que les Réformes protestantes qui ont pourtant entériné les conciles œcuméniques du 1er millénaire, y compris la proclamation de Marie Mère de Dieu (ce qui n’est pas le cas de la Réforme anti-trinitaire qui, elle, rejette ces conciles à commencer par le premier, celui de Nicée en 325), s’arrêtent soudain au milieu du gué et font grief aux catholiques de ce culte !

Le baptême n’est pas seulement l’introduction initiatique (par un rituel) au sein d’une communauté chrétienne, mais le lavement de ce pêché originel. Lorsque l’enfant meurt avant d’avoir pu être baptisé, il ne peut aller ni en Enfer car il n’a pas lui-même commis de péché, mais il ne peut pas aller non plus au Paradis car il est entaché du Péché originel ! Les limbes sont donc NECESSAIRES pour recueillir son âme et doivent en conséquence exister ! Le pédobaptême est de toute évidence une obligation morale et il est criminel de s’y soustraire car cela condamne les enfants qui décèdent sans baptême à être privé ad vitam eternam du bonheur paradisiaque. A noter que, en 2012, le Vatican est revenu sur cette histoire de limbes sans nous expliquer d’ailleurs pourquoi !

A partir de la Pentecôte, Jésus nous envoie le Saint Esprit et, par là, inspire les communautés qui se réunissent en son nom. Les conciles, par les décisions qu’ils prennent (à la majorité des voix) correspondent à la volonté de Dieu (le Saint-Esprit étant une personne de la Trinité) ; leurs résolutions sont donc obligatoires qu’ils portent sur les croyances, sur des directives pastorales ou encore sur de simples questions de discipline religieuse. Cela commence avec les évangélistes dont la plume est supposée « inspirée » d’en Haut, en quelque sort tenue par Dieu ! et donc correspondre à la Parole divine (les musulmans feront mieux encore avec leur assertion d’un Coran descendu du Ciel !). A terme, on aboutit à l’infaillibilité pontificale concernant les grandes « vérités » que le pape est amené à proclamer dans certaines circonstances au nom de l’Eglise (du moins de l’Eglise catholique romaine dont il est le chef spirituel).

On voit bien que le train est devenu fou et conduit droit au mur, mais – que diable – pourquoi monter dans un tel train ? Par déduction linéaire on peut ainsi aboutir à des absurdités que le simple bon sens écarterait.

 

Les théologiens catholiques ne sont pas les seuls à raisonner ainsi. L’histoire analysée par le marxisme a accouché d’un évolutionnisme linéaire, particulièrement réducteur et partial, en totale contradiction avec les méthodes scientifiques bien plus prudentes des historiens. Les argumentaires utilisées par les trotskistes ou encore par les fondamentalistes et bien d’autres sectaires relèvent aussi d’un tel mode de pensée. On enchaîne les idées comme on égrène les grains d’un chapelet avec l’assurance que donne le simplisme, la parfaite ignorance du contexte historique qui les a vu naître, la vertueuse obéissance vis-à-vis des magistères religieux ou politiques, la supériorité que donne le pseudo savoir et l’utilisation de mots apparemment savants …

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 09:32

LES YEUX DE L’HISTOIRE, par Jean-Marc Van Hille

 

ndlr - Nous assistons actuellement au passage d'une exégèse des textes dit sacrés (Bible, Coran, etc.) jusqu'ici menée principalement par des théologiens  - qui effectivement peuvent partir des présupposés de leur propore Eglise ou encore participer à des courants idéologiques modernistes comme la théologie de la Libération, le féminisme, le Genre, etc. - à une exégèse  initiée cette fois-ci directement par des scientifiques : linguistes, historiens, archéologues, anthropologues, etc.. Entre autres, la revue "Le Monde de la Bible" ( lien) témoigne bien à notre avis de ce passage de relais. Ce texte de Jean-Marc van Hille, que nous publions ici en inédit, rend bien compte du travail difficile de l'historien dès lors qu'il est sous la tutelle de la théologie !


A moins d’être affligé de strabisme, l’historien peut-il étudier des textes fondamentalement différents avec le même regard ? En d’autres termes, est-ce le même historien qui analysera par exemple un combat naval de la guerre de Sept Ans en s’appuyant sur les volumineuses archives disponibles à Vincennes, ou qui fera l’exégèse d’un des Évangiles ou de tout autre texte du Nouveau Testament ? Pourra-t-il y apporter le même soin, la même précision, accorder la même confiance aux sources ? A l’évidence la réponse est négative. Et cependant il s’agit bien du même historien !


Le problème est que les Évangiles et autres écrits néotestamentaires ne sont pas des textes historiques au sens premier du mot, puisque on n’en connaît que rarement les auteurs, qu’on en ignore généralement les sources, que selon les conclusions – fiables ou non – du Jesus Seminar, 80% des paroles attribuées à Jésus n’ont jamais été prononcées par lui, et que même certaines Lettres attribuées à Paul ne sont pas de lui.


eusebius_de_cesaree.jpgL’Histoire – et l’art subtil de l’étudier – ne datent pas d’aujourd’hui. C’est Hérodote, né vers 485 avant notre ère à Halicarnasse, qui en est le père et le créateur du mot istorev, istoreô, qui signifie « je rends visite à ». L’Histoire est donc une visite du passé, ce qu’on cherche à comprendre, ce sur quoi on veut faire une véritable enquête. Après Hérodote vinrent Hellanikos, Thucydide et Euripide mais il fallut attendre le 4ème siècle de l’ère courante pour rencontrer le premier véritable historien chrétien, Eusèbe de Césarée, né vers 263, et très proche de l’empereur Constantin. Il est donc déjà « sous influence » puisque alors l’Église naissante est soutenue par le pouvoir. On ne peut donc pas considérer qu’il soit totalement impartial. Néanmoins il passe pour être la source majeure de l’histoire du christianisme des premiers siècles. Son Histoire ecclésiastique en dix volumes couvre la période depuis la fondation de l’Église jusqu’à Constantin, mais ne concerne pas les Évangiles.

 

portrait d'Eusèbe de Césarée (vers 265 - vers 340).


Donc notre historien devra changer de regard en passant de la bataille de Coromandel le 27 avril 1758 aux récits évangéliques. Sera-ce possible ? Pourra-t-il accepter la spéculation intellectuelle inévitable devant le manque de sources indiscutables et l’absence d’archives ? « L’obligation de vérité » ne pouvant exister dans l’exégèse des Évangiles puisqu’il y a autant d’interprétations que d’exégètes, on ne saurait donner à ces derniers le nom d’historiens. L’Histoire doit respecter le passé ; or, de la véritable vie de Jésus, on ne sait que très peu de choses. L’historien se doit d’être objectif, même si cela relève parfois de l’utopie ; l’exégète est trop souvent subjectif. Ses recherches seront donc toujours sujettes à caution et ses résultats scrutés avec la plus extrême prudence.


Ce sera donc un homme différent, selon qu’il étudie une guerre du XVIIIe siècle ou des événements des trois premiers, qui publiera les résultats de ses recherches. Sur la guerre il disposera de tonnes d’archives, des Évangiles il n’aura qu’une tentative de reconstitution de la Source Q ou des textes de quelques apocryphes qui auront échappé à la censure des scribes constantiniens.


Le conflit n’est pas facile à résoudre car la subjectivité n’inspire pas confiance.C’est bien cet antagonisme entre historien et exégète qui rend la tâche du théologien ardue et qui fait qu’il est, au fond, peu connu et souvent ignoré du grand public.


Dans son édito du n° 263 d’Évangile et Liberté, Raphaël Picon le déplore d’ailleurs avec amertume. Le terme « théologie » couvre un si grand nombre de disciplines que le public s’y perd. Annoncerait-on un Jesus Seminar en France que la conférence des évêques appellerait aussitôt aux manifestations dans la rue, criant à l’hérésie ! L’information passerait de toutes façons inaperçue des médias. Et cependant dans les deux spécialités, histoire et exégèse, le chercheur espérera toujours découvrir un manuscrit qui apportera une lumière nouvelle, et pourquoi pas la réponse à telle question demeurée mystérieuse depuis vingt siècles.


Je ne peux pas adhérer à ce qu’écrit le pasteur Gilles Bourquin dans son article intitulé La critique de l’histoire des évangiles, Reimarus, Strauss, Renan et Bauer. « Peu importe donc que les récits évangéliques soient historiques ou non, ce qui compte, c’est la transmission des idées religieuses qu’ils véhiculent » (Évangile et Liberté n° 263, novembre 2012). Une telle remarque signifie l’abdication de l’historien devant un texte obscur, en le contraignant à s’attacher au sens du texte sans avoir la moindre confirmation de son authenticité. Imaginons le même historien analyser la bataille de Coromandel à partir de son récit dans une bande dessinée pour enfants ! Rien ne lui permettrait de conclure que ce qu’il lit est faux (on a lu certains albums de Tintin et Milou où figuraient des détails historiques rigoureux), mais il ne lui viendrait pas à l’idée de rédiger une thèse à partir de cette seule source !


Exégète ? Historien ? Qui doit trancher ? L’exégète aura-t-il la même honnêteté de reconnaître qu’il ne s’est pas « laissé séduire par une lecture préconçue » des récits bibliques ? Son champ de recherches a été le domaine réservé de la théologie catholique jusqu’à Luther qui, après John Wycliff (1330-1384) et Jean Hus (1369-1415), s’est opposé au thomisme dans le grand courant humaniste de la Renaissance où Érasme et Lefèvre d’Étaples avaient insisté sur l’impérieuse nécessité de revenir aux textes originaux hébreu et grec - aux dépens des commentaires que des siècles de toute-puissance romaine avaient imposés - rompant ainsi avec la tradition scolastique. En 1521 Luther fut excommunié ; l’année précédente il avait publié son Traité de la liberté chrétienne où il déclarait que le chrétien était l’homme le plus libre, et en toutes choses. L’Église catholique pour qui le concept de liberté de pensée s’oppose à tous ses diktats, ne pouvait que réagir violemment.

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