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Le cheminement individuel du chrétien gnostique
pierre tombale : combattant bogomile avec épée et Livre
Bien que la gnose chrétienne repose sur une vision très pessimiste du monde - il a été créé par un démiurge et non par Dieu lui-même ; par le Dieu de l’Ancien testament qui n’a rien à voir avec le Dieu paternel et affectueux de Jésus dira Marcion, disciple du philosophe et maître gnostique Valentinus (1) ; de Satanaël diront les bogomiles (2) ; on retrouve là les "Ténèbres" des écrits johanniques – cette vision n’est somme toute qu’un point de départ. Il revient au chrétien de s’extirper de cette condition première (mais qui n’est nullement l’enfermement du Péché originel) par l’ascèse et la vie morale, de cheminer dans la prière et la méditation des textes évangéliques afin de se rapprocher de Dieu, d’être prêt au moment de son dernier souffle. Les gnostiques rejettent tout encadrement institutionnel, à commencer par le rôle des évêques (episcopos en grec signifie « surveillant ») (lien) et l’administration des sacrements (les cathares n’ont comme seul sacrement, le consolament). Tout dépend donc de l’homme et de sa propre volonté à devenir "parfait" (version cathare), "saint" (version catholique et orthodoxe). Les statuts ecclésiaux ne donnent aucun privilège ; c’est la proximité mystique à Dieu qui importe. Et leur Dieu est un Dieu d’Amour et non un cerbère, un Dieu en attente de l’homme et qui ne pose pas des conditions d’accès sinon une élévation de nos âmes.
(1) Valentin (Valentinius) fut le plus important des maîtres gnostiques. Il naquit en Égypte et fut éduqué à Alexandrie. Il enseigna à Rome entre 135 et 160. Selon Tertullien, Il fut candidat pour être évêque de Rome en 143. Ses conceptions ésotériques le firent excommunier. "L’Évangile de Vérité", ainsi que d’autres textes découverts à Nag Hammadi, se rattachent à l’école valentinienne. Il est aussi l'auteur de la "Pistis Sophia". (Wikipedia à l’article « Valentin (gnostique) », lien). Marcion sera son disciple ; ses théses anti-juives seront condamnées par l’Eglise de Rome en 144.
(2) voir la présentation des bogomiles par Georges Castellan, l’historien des Balkans, « Les Bogomiles, l'hérésie dualiste au cœur du monde byzantin » (lien).
C’est donc l’histoire de toute une vie. On grandit, on se marie, on s’accouple pour donner des enfants dans la chair, mais, lorsque la femme est ménopausée, elle peut s’engager dans une vie spirituelle de parfaite ; et, de son côté, lorsque l’homme est veuf, il peut davantage se consacrer à une vie spirituelle qui le fera passer des Ténèbres à la Lumière. Il invite ses voisins pour prier ensemble dans la chaleur de sa maison ; et lorsqu’il est reconnu par un « bonhomme » comme pouvant l’être aussi, il administre le consolament à ceux qui le lui demande.
Avec les bogomiles et les cathares, d’après ce que nous en savons, nous sommes loin de la gnose intellectuelle et ésotérique d’un Valentinus. La grande référence pour eux reste les écrits johanniques. Ils peuvent donc se considérer à juste titre comme des chrétiens qui reviennent aux sources, qui – en cela – sont évangéliques (3). Ceci dit, leur vision pessimiste de la chair les détourne du symbole de la croix : le Christ n’est plus de chair et n’a pas de densité humaine ; à l’extrême, étant de tout temps avec Dieu, il n’a pas besoin de ressusciter. Par ses enseignements, il introduit à la « connaissance » de Dieu ; par sa personne il sert comme « véhicule » (au sens hindouiste et bouddhiste du terme) dans un univers cosmique.
(3) C’est la thèse que défend le pasteur Pierre-Jean Ruff : « Des origines du christianisme aux cathares et des cathares à nous », plusieurs articles réunis dans le Cahiers Michel Servet, n° 7, février 2007, préface de Michel Jas, 16 p. en A4, plus couverture, (lien).
A l’opposé, les figures franciscaines d’un saint Antoine de Padoue (1195-1231) prêchant l’Evangile aux poissons (alors que les cathares lui tournaient le dos !) et – en contemplation - prenant le petit Jésus en ses bras, et d’un François d’Assise (1182-1226) donnant à manger aux oiseaux et marqué en ses paumes des stigmates du Jésus de la Passion, témoignent de l’harmonie de l’homme avec la Création de Dieu, de la complicité entre l’homme et les animaux, de la beauté de la Nature, de l’amour pour un Jésus enfant puis homme.
Déjà, la Première épître de Jean mettait en garde contre les "antichrists" qui ne confessent pas « Jésus Christ venu dans la chair » (4, 2) (4) ...
(4) la polémique contre les docètes, qui considéraient l’humanité de Jésus comme une simple apparence et qui niaient la réalité de la croix, est engagée dans cette épître (2, 18-29 ; et, de nouveau, 4, 1-6). Dans la Seconde épître de Jean, la lutte continue (4, 7-11). De son côté, l’Epître aux Colossiens, attribuée à Paul durant son séjour surveillé à Rome, met en garde contre les fausses ascèses relatives entre autres aux question de nourritures et de boisson (Col, 2, 16-23).
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