Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 19:14

par Jean-Claude Barbier, chrétien unitarien, France

 
table ronde « Servet, Biandrata, Calvin et la tolérance : l’actualité d’une leçon »,
colloque international « La liberté de conscience au cœur même des droits de l’homme »
organisé par l’Association Biandrata à Saluzzo (Italie),
les 21 et 22 mai 2010 (à l’Ancien palais communal, Salita al Castello, Saluzzo, Italie)
en « Hommage à Michel Servet et à Georges Biandrata »,


Dans les sociétés démocratiques, la liberté de conscience, de penser, de s’exprimer fait aujourd’hui partie des droits élémentaires de toute personne, avec cependant des limites qu’il convient de rappeler : ne pas tenir de propos racistes ni xénophobes, ne pas exciter à la haine meurtrière (appel au crime), ne pas accuser autrui sans justificatif, rester courtois dans les échanges, etc. Les valeurs de tolérance, de cohabitation pacifique, de respect des autres se sont largement diffusées et chacun est désormais invité à prendre la parole sans agresser son voisin.

En cela, les humanistes des réformes protestantes du XVIème siècle ont-ils été de bons exemples ? Que ce soit à Villanueva de Sijena, à l’initiative de l’Instituto de estudios sijenenses Miguel Servet, à Saluzzo à celle de l’Associazione Biandrata, ou encore durant la commémoration à Genève du 500ème anniversaire de la naissance de Jean Calvin, on nous cite en exemple ces protestants qui firent avancer la chrétienté vers plus de conscience individuelle à partir d’une lecture désormais directe et personnelle de la Bible.

Des militants

Certes ! mais ces personnes étaient encore très loin de la liberté de penser telle que nous l’entendons aujourd’hui. Même Michel Servet acceptait – comme chez les luthériens – qu’une personne soient déclarée indésirable à cause de ses idées et exilée. La diète de Torda en 1568 (sous le règne du roi Jean Sigismond de Transylvanie), premier édit de tolérance et bien en avance sur tous les autres pays européens d’alors, accorde la liberté de culte aux seuls catholiques, luthériens, calvinistes et unitariens … mais ne parle pas de la foi orthodoxe qui était pourtant la religion des premières populations de cette région ni des autres religions (juifs, sabbatéens, musulmans), encore moins de l’athéisme. Le progrès consistait alors à demander qu’on n’accapare pas les biens du proscrit et qu’on ne le malmène pas à cause de ses opinions.

En fait nos humanistes était des personnes de conviction : Miguel Servet, dans sa correspondance avec Jean Calvin, polémique avec lui à propos d’interprétations tirées de la Bible ; Giorgio Biandrata demande et obtient que les disputes théologiques n’utilisent que des arguments tirés de la Bible ; c’est toujours au nom de la même Bible que ce dernier fait appel à Fausto Soccini afin qu’il convainc le Hongrois Ferenc David de maintenir le culte à Jésus. Nous avions à faire à des hommes engagés, dont les polémiques étaient publiques et virulentes. C’étaient des hommes qui cherchaient la vérité et qui défendaient leurs points de vue. La vérité était alors unique, toute entière contenue dans la Bible, lieu de la seule Révélation divine. C’étaient ce qu’on appelle aujourd’hui des fondamentalistes.

Les chrétiens unitariens, qui se disent, héritiers des anti-trinitaires de ce siècle, sont-ils encore des radicaux affirmant des idées et en rejetant d’autres ? Pour ma part, je vais répondre par l’affirmative.


- oui à un Dieu monothéiste, unique, universel, le même pour tous les peuples ; et non à ceux qui se prétendent peuple élu, qui disent posséder la vraie religion, la seule Révélation valable, se sentent plus près de Dieu que les autres, forment la « vraie » Eglise, vivent le « vrai » christianisme, etc.


- non à la divinisation de Jésus et à une sotériologie (doctrine du salut) dont il serait la porte d’entrée incontournable par on ne sait quelle énigme ontologique.


- non aux dogmes ou autres affirmations qui se présentent comme des mystères non accessibles à la raison humaine


- oui à l’approche historico-critique des Ecritures et aux progrès des connaissances scientifiques lesquelles priment sur les connaissances anciennes véhiculées par les religions.


- oui à un christianisme pluriel qui a toujours existé et que symbolise magnifiquement les 4 évangiles et la résistance à la tentation de rédiger un diatessaron (1) et non aux Eglises impérialistes.


- non aux mouvements intégristes, politico-religieux, sectaires que ce soit dans le champ chrétien ou dans ceux des autres religions ; oui à la démocratie et à la laïcité.

La liberté de pensée, mais au service d’une exigence de vérité, d’une transcendance qui élève moralement et spirituellement l’Homme.

Pas gentils les chrétiens unitariens ? quelque peu ombrageux ? non portés au compromis et au consensuel ? Cela dépend bien sûr du caractère de chacun et de sa façon de s’exprimer, au style plus ou moins non religieusement correct. Mais c’est vrai qu’il y a un positionnement nettement plus engagé que les mouvances libérales habituelles. Alors que celles-ci sont portées à relativiser les croyances, à les resituer dans un contexte historique et culturel et non dans une formulation définitive, à mettre l’accent sur celles qui sont importantes en gommant sinon en occultant les divergences, à dégager des dénominateurs communs, à taire les désaccords théologiques au sein de communautés paroissiales, le christianisme unitarien est plus nettement identitaire : il affirme une vision du christianisme, une théologie, une tradition, une histoire, une culture. C’est ainsi que, réunis à Avignon en août 2007, les chrétiens unitariens d’Europe ont tenu à proclamer un manifeste (2).

Ce radicalisme explique les disputes idéologiques des unitariens qui se sont successivement distingués d’avec les tenants du culte à Jésus (à Kolozsvar en Transylvanie et en Lituanie) (lien), les ariens et les sociniens (en Angleterre), puis les congrégationalistes libéraux de Boston, en Nouvelle-Angleterre.

Qui se sont ouverts au pluralisme démocratique

Mais l’unitarisme contemporain s’est diversifié et, à la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis, les assemblées chrétiens unitariennes ont ouvert leurs rangs à des non-chrétiens (agnostiques, puis athées spirituels appelés aux Etats-Unis « religious humanists ») qui se réfèrent eux aussi aux valeurs de l’Evangile indépendamment de la personne même de Jésus.

 

Ce christianisme d’ouverture a continué sur sa lancée avec des croyants d’autres religions ou mouvances spirituelles (bouddhistes, ba’hais, soufis, néo-païens, etc.) ; il a abouti à des congrégations hétérogènes où chaque personne est respectée dans sa propre foi dès lors qu’elle fait effort pour vivre des valeurs à portée universelle. C’est donc la contribution à l’universel des patrimoines culturels et religieux particuliers qui se trouvent valorisée. A la Bible comme autorité suprême se s'est substitué le partage des grandes sagesses de l’Humanité (interfaith) et l’affirmation des Droits de l’Homme.

Cette mouvance nord-américaine est connue sous le nom d’unitarisme-universalisme, du nom de deux dénominations chrétiennes qui ont fusionné en 1961 après avoir toutes deux évoluées dans ce sens d’une ouverture aux autres, d’une part les congrégations unitariennes qui émargeaient à l’American Unitarian Association (AUA, fondée en 1825) et d’autre part l’Universalist Church of America (UCA, dont la première église fut fondée à Gloucester dans le Massachusetts en 1779).

 

Ces nouvelles assemblées pratiquent le respect de toutes les religions et les enseignent à leurs progénitures au sein de leurs « écoles du dimanche » ; elles célèbrent volontiers les fêtes traditionnelles des uns et des autres, écoutent des prédications de ministres qui choisissent bien d’autres sujets que ceux de la Bible, encouragent au développement spirituel des uns et des autres, à partir d’eux mêmes et sans direction de conscience (3). L’unitarisme-universalisme a ensuite essaimé dans de très nombreux pays (déjà dans les années 20 en Tchécoslovaquie avec le révérend Norbert Capek fondateur d’une congrégation libérale en 1922, puis de la Religious Society of Czech Unitarians RSCU en 1930).

En Europe, également, les communautés chrétiennes de base (CCB), qui se sont multipliées ces dernières décennies dans la marge du catholicisme contestataire, se sont mises à pratiquer des célébrations libres qui valorisent l’expression personnelle et vécue de sa foi (tout en restant, quant à elles, internes au christianisme).

L’Eglise unitarienne francophone (EUfr) a repris ces héritages en invitant chacun à faire un culte de maison (avec sa famille, ses voisins, ses amis, etc.) selon sa propre foi (donc un culte identitaire au niveau de chacun), puis à partager sur le site de l’Eglise en utilisant un langage non ésotérique, communicable à tous, afin qu’il puisse y avoir un partage effectif (lien). De même, les rituels doivent être expliqués, resitués dans leur contexte historique afin d’être mieux compris ; ils sont simplement proposés et non plus imposés comme pratiques communautaires (lien).

Il va de soi que de tels échanges ne peuvent se faire que dans un climat de coopération réciproque, d’empathie, d’écoute de cœur et d’intelligence, d’attention aux itinéraires spirituels et religieux des autres. La tolérance qui imprègne toutes ces pratiques implique donc une lutte contre les intolérances, contre ceux qui veulent imposer leurs idées et leur foi particulière, et rejettent le vécu des autres. En cela, tous les unitariens d’aujourd’hui sont à la fois des gens de conviction et des libéraux, en quelque sorte des intolérants aux dogmatiques et aux autoritaires.

 ------

(1) au IIème siècle, Tatien le Syrien, née en Syrie romaine du côté de la Mésopotamie vers 110-120, rédigea la première concordance des quatre évangiles qui connu un grand succès en Syrie et ailleurs et qui fut traduit en de nombreuses langues de l’époque. Cela lui valut d’être considéré comme Père de l’Eglise en dépit d’idées quelque peu hérétiques. Plus près de nous, l’unitarien et président de la République américaine, Thomas Jefferson, proposa par collage un évangile unique expurgé de tout ce qui était merveilleux et miraculeux (connu sous le titre de « Bible de Jefferson ») ! Ce texte a été traduit en français et publié dans La Besace des unitariens (lien)
(2) ce manifeste, rédigé en français et en anglais, a été traduit en italien, portugais, espagnol et norvégien. Il a été cosigné par les communautés chrétiennes unitariennes d’Afrique noire francophone (lien).

(3) cela se fait au sein de sous-groupes d’accord commun (« covenant groups »), de petite taille, chacun n’ayant pas plus d’une douzaine de participants : « small group ministry » (groupe pour soutenir les engagements des uns et des autres), « chalice group » (groupe de prière avec le rite de l’allumage du calice des unitariens), « caring group » (groupe d’attention mutuelle), « spiritual practice circle » (cercle de pratique spirituel), etc. Pour une présentation en français de ces groupes de croissance spirituel, voir l’article de Lucie-Marie Castonguay-Bower (lien).

Partager cet article
Repost0

Recherche

Archives