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26 décembre 2014 5 26 /12 /décembre /2014 12:16

par Jean-Claude Barbier, intervenant au séminaire du 15 au 21 décembre 2014 à Kigali organisé par la Congrégation unitarienne du Rwanda selon le programme de formation établi par l’Eglise unitarienne francophone (EUfr) ( lien). Ce commentaire a été traduit en italien par Giacomo Tessaro et mis en ligne le 2 janvier 2015 sur le site de la Comunione Unitariana Italiana (CUI), lien.

Selon les évangiles synoptiques (Mt 9, 18-19 et 23-26 ; Mc 5, 21-24 et 35-43 ; Lc 8, 40-42 et 49-56), la résurrection de la fille de Jaïre confirme le pouvoir extraordinaire de Jésus qui serait insufflé par Dieu : non seulement il guérit, mais voilà qu’en plus il ressuscite les morts, pouvoir attribué jusqu’à présent à Dieu seul, seul maître de nos destins, de la vie et de la mort … et ceci dès le début de sa campagne de Galilée.
Il y a, pour eux et les croyants, guérison miraculeuse, mais faut-il pour autant crier au miracle ?
Il arrive en effet qu’une personne entre en coma, soit" comme" morte … et parfois se trouve enterrée un peu précipitamment (en l’absence de nos modernes stéthoscopes !). Jaïre dit à Jésus que sa fille est mourante et c’est l’entourage qui affirme la mort ; il est d’ailleurs venu immédiatement avertir le maître. La question reste donc ouverte. A propos de Lazare, Jn 11, 1-46, l’évangéliste Jean prendra soin de nous dire que le corps sentait déjà mauvais afin de bien nous faire comprendre que Lazare était réellement mort (depuis 4 jours précise-t-il !) v. 39.
Remarquons que Jésus, en bon thérapeute, utilise le contact physique avec la personne malade ; ici Jésus prend la main de la fillette. D’ailleurs, en récit intercalé, sur le chemin qui le conduit sur les lieux, Jésus est touché par une hémorroïsse (une femme qui était atteinte d’un flux de sang depuis 12 ans ; ce terme ne s’applique que pour cette femme citée dans les évangiles)… laquelle guérit par un simple contact du vêtement du maître ! Une énergie découle de sa personne ; elle réconforte et guérit. Mais est-ce suffisant pour sortir quelqu’un d’un évanouissement prolongé ? d’un début de coma ?

 

La raison écarte résolument les miracles comme étant une explication irrationnelle. Elle est rejointe, depuis le Siècle des lumières, par la critique du théisme providentiel : comment Dieu, grand architecte de l’univers (GADLU) comme disent les francs-maçons, le Dieu créateur « horloger » de Voltaire pourrait-il déroger aux lois qu’il a lui-même établis ? On aurait alors à faire à un dieu fantaisiste, capricieux, incohérent, injuste et discriminant car intervenant pour certains et non pour d’autres !
Entre guérison inexpliquée (constat fait par les médecins) et le miracle proclamé par les croyants, le débat risque de s’enliser, mais le vrai sens du texte est-il à ce premier niveau d’une affirmation de pouvoir de Jésus ? John Shelby Spong, dans son livre à la page 102*, avance un second sens, plus profond : les évangélistes synoptiques se seraient inspirés d’un récit du Premier testament relatant la guérison du jeune enfant de la Shunamite par le prophète Elisée (2R 4, 18-37, dans le cycle d’Elisée)
* John Shelby Spong, 2014 – Jésus pour le XXIème siècle, Paris, Karthala, 328 p., traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Raymond Rakower, préface de Jacques Giri ; l’auteur est évêque émérite de l’Eglise épiscopale de Newark, New Jersey. Version originale : Jesus for the Non-Religious, 1ère édition en 2007 chez HarperCollins


Elisha_et_la_Shunammite.jpg

La Shunamite, venue sur son âne, se jette aux pieds d’Elisée (lequel est accompagné de son serviteur Géhazi) pour le supplier de venir au plus vite. Vue sur le site « Christianity.about.com » (lien).

 
Le parallélisme des deux textes est en effet frappant. On a dans les deux cas :
- la famille de l’enfant mort fait partie de l’élite : la Shunamite (une « femme de qualité » du village Shunem) est suffisamment aisée pour qu’elle et son mari construisent une chambre haute au dessus de la terrasse de leur maison afin d’y recevoir le prophète lors de ses passages ; Jaïre, quant à lui, est le chef d’une synagogue (Matthieu ne donne pas le nom et dit seulement que c’est « un chef » v. 18) ;
- il s’agit d’un enfant (l’enfant de la Shunamite est parti au champ pour la première fois pour y rejoindre son père – a-t-il vers 7 ans ? Quant à la fille de Jaïre, elle avait environ 12 ans nous dit Luc, v. 42), tous deux premiers nés (des prémisses !) et uniques (Lc, v. 42) ;
- qui est mourant (« Ma petite fille est à toute extrémité » Mc  v. 23) ou bien qui vient tout juste de mourir ;
- le prophète n’est pas là et le parent part immédiatement le chercher, absolument confiant dans le pouvoir du maître ;
- le prophète entre dans la chambre où repose l’enfant et le touche. Elisée va jusqu’à s’allonger sur le corps du garçon (bien que cela provoque une impureté rituelle de 7 jours si l’on en croit les Nombres (Nb 19, 11) ;
- après guérison, le prophète rend l’enfant à ses parents ;
- l’enfant reprend vie et ses activités (l’enfant de la Shunamite éternue 7 fois ; la fille de Jaïre se lève, marche et mange !) ;
 

 

Pourquoi un tel parallélisme ? Est-ce pour nous dire que Jésus prend la suite de la grande lignée des prophètes d’Israël ouverte par Elie et son héritier Elisée ? Pour mieux le comprendre et nous dire qui il est vraiment, nos évangélistes le situent dans un renouveau prophétique que les nazôréens remettent en honneur à partir de la Pentecôte. C’est là un second sens rédactionnel, sans doute plus important que le premier qui nous était dicté par une lecture seulement littérale du texte.
D’une façon assez fréquente, nous devons atteindre ce second niveau si nous voulons mieux comprendre les textes du Nouveau testament. Nous comprenons désormais pourquoi il nous faut considérer Jésus comme un rabbi juif, inscrire la naissance de l’Eglise dans le judaïsme et continuer à lire les textes messianiques de l’Ancien testament, lesquels ont été utilisés, voire même souvent cités par les auteurs judéo-chrétiens. C’est ce que nous conseille expressément John Shelby Spong. Il s’agit là bel et bien d’une méthode de lecture des textes du NT.

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