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9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 10:10

par Jean-Claude Barbier,

Dans les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), nous voyons une Marie, mère de Jésus, qui, avec ses autres fils et filles, désavoue publiquement son fils ; elle va jusqu’à penser qu’il est « insensé » et va à Capharnaüm afin de le ramener … à la raison et à la maison à Nazareth ! (voir notre article « la famille de Jésus » mis en ligne sur le site des chrétiens unitariens du Burundi le 10 février 2013,  lien). Mais alors qu’elle est absente aux évènements du ministère public de Jésus, voilà que la famille de Jésus fait son apparition, après sa mort, au sein du groupe de prière qui se réunit au Cénacle et lors de la Pentecôte.


Comment expliquer ce revirement ? J’ai fait l’hypothèse que c’est la famille de Jésus qui est venue chercher le cadavre de Jésus, mis provisoirement dans le tombeau prêté par Joseph d’Arimathie à cause du sabbat (voir notre rubrique « le tombeau vide » lien), récupération tout à fait légitime et considérée comme un devoir sacré dans toutes les sociétés. Dans le cas présent, vue la situation conflictuelle qui a causé la condamnation à mort de Jésus, il est parfaitement compréhensible que cette récupération du corps se soit faite nuitamment, avant l’aube, le sabbat s’étant d’ailleurs terminé la veille au voir, la nuit tombée. Nous sommes bien dans un agenda plausible.

 

L’enjeu, bien sûr, étant celui de la succession à la tête du mouvement initié par Jésus ; il sera confirmé par l’ascension de Jacques, le frère du Seigneur, à la tête de la communauté de Jérusalem, chose faite à la suite de l’emprisonnement de Pierre puis de son évasion à la Pâque 43 ou 44 (Ac, 12, 1-19), puis après la lapidation de Jacques en 62, ce sera Siméon qui succédera (selon l’historien Eusèbe de Césarée, il était le fils d’une nommée Marie, épouse de Cléophas et belle sœur de Marie la mère de Jésus).


C’est Luc, avec son Evangile de l’enfance, qui va amorcer la saga de Marie. Il nous raconte une naissance miraculeuse, celle de Jésus, afin de le magnifier selon le mode antique ; il s’appuie sans doute sur des légendes naissantes qu’il a recueillies (Lc 1, 1-4) et qui témoignent d’un début d’héroïsation de Jésus lequel ne peut plus être considéré comme un simple homme ordinaire. Marie est alors la Servante obéissante, écoutant l’annonciation par l’ange Gabriel, accomplissant la volonté de Dieu. Luc va même plus loin, en faisant de Marie, la dépositaire de la sagesse biblique ; c’est le Magnificat (seul Lc 1, 46-55) qui réaffirme que Dieu élève les humbles et abaissent les puissants arrogants.


pentecote_autour_de_marie.jpgMais contrairement à ce que deviendra plus tard l’iconographie mariolâtre, Marie n’est pas encore une référence centrale lors de la Pentecôte. Certes, elle est citée nommément dans le groupe de disciples qui se réunit au Cénacle après la mort de Jésus, mais elle vient après les Douze (qui ne sont plus que onze après la mort de Judas). A cette liste des onze, Luc ajoute « Tous unanimes, étaient assidus à la prière avec quelques femmes dont Marie la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus » (Lc 1, 12-14, traduction TOB 2010). Puis, ce sera la Pentecôte, sans doute avec le même groupe (auquel Matthias a été adjoint pour remplacer Judas), et, là non plus, Luc ne donne pas la priorité à Marie, se contentant d’écrire « Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble » (Lc 2, 1). Le récit des Actes des apôtres est tout entier centré sur Pierre, puis sur Paul et ses missions à partir du chapitre 13, les deux apôtres par excellence …


Il faut cherchez d’autres auteurs et dans des textes postérieurs pour comprendre la référence centrale donnée à Marie. La généalogie de Jésus dans l’évangile de Matthieu témoigne d’une élaboration théologique plus avancée que celle de Luc. Alors que Luc fait de Jésus le fils de Joseph (bien qu’en distillant un doute, probablement en déduction de la naissance miraculeuse de Jésus) : « Et Jésus, en commençant (son ministère), avait environ trente ans, étant fils, selon ce qu’on croyait, de Joseph (fils) d’Héli ») (Lc 3, 23) ; la version selon Matthieu, elle, met en vedette la mère de Jésus : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, qui (est) dit Christ » (Mt 1, 16). Or, dans ce texte matthéen (très probablement le Matthieu grec beaucoup plus tardif que le Matthieu araméen), Marie fait suite à une série de femmes de la Bible ayant ouvert une nouvelle lignée, toutes d’ailleurs à partir d’une impossibilité humaine ! Thamar qui se prostitua pour avoir une descendance, Rahab la prostituée cananéenne qui trahit sa cité et la livre aux Hébreux, Ruth la Moabite qui voulut rester malgré tout auprès de sa belle-mère, enfin la femme d’Urie qui commit d’adultère avec le roi David et causa la mort de son mari. Dans cette logique généalogique, Marie se retrouve en position de tête de lignée, celle des nazôréens qui suivent la nouvelle voie de Jésus.


Jean l’évangéliste, très probablement le Disciple que Jésus aimait, mais devenu ancien d’Ephèse après avoir été prêtre juif à Jérusalem, va se faire le chantre de Marie. Il la met partout dans son évangile, à commencer par les noces de Cana, tout au début du ministère de son fils (Jn 2, 1-11), jusqu’à la croix où Marie est au pied du pieu en compagnie du Disciple et où Jésus confie sa mère à ce dernier (Jn 19, 25-26). S’il est plausible que le Disciple emmena Marie, la mère de Jésus, à Ephèse, ce ne fut possible qu’après la mort de Jacques en 62 et l’incendie du temple de Jérusalem le 29 août 70. Cette présence éventuelle de Marie à Ephèse n’est pas attestée dans les textes ; peut-être était-elle morte bien avant ! Quoiqu’il en soit, sa figure est importante à Ephèse où règne une grande déesse de type maternel et elle aussi vierge, Arthémis. A Ephèse elle représente la fécondité, la fertilité, c'est une mère nourricière qui allaite l'humanité entière par ses nombreux seins engorgés du lait divin (voir sa photo dans notre article « Marie était-elle au pied de la croix ? », lien). Jeune, Artémis demanda à Zeus, en cadeau, de rester vierge (par ailleurs et sous d’autres cieux, elle est la svelte chasseresse que les Romains assimileront à Diane), comme quoi le parallèle christianisme naissant / paganisme commence à fonctionner.


L’auteur de l’Apocalypse, un nommé Jean exilé un temps dans l’île de Patmos à la suite d’une persécution anti-chrétienne (Ap. 1,9), mais peut-être le même auteur que l’Evangile de Jean, va développer ce rôle central de Marie : une figure féminine mythique y est présentée comme mère de l’Eglise naissante et couronnée comme telle avec douze étoiles symbolisant les premières Eglises locales.


Bien entendu tous ces auteurs n’engagent qu’eux-mêmes dans leurs textes respectifs, mais ils se font l’écho de traditions naissantes autour de Jésus, de la ferveur christique au sein des premières communautés, et d’une christologie en pleine élaboration qui fera de Jésus, dès le début du IIème siècle (voir les épîtres d’Ignace, évêque d’Antioche - né vers 35, d'origine syrienne, mort en martyr probablement en 107 ou 113, lien), un dieu à part entière (à ne pas confondre avec le dogme trinitaire qui sera officialisé beaucoup plus tard, en 325, lors du concile de Nicée).

 

Ajouts du 15 août 2014 : messages du même jour dans le groupe "Unitariens francophones" sur Facebook

Jean-Claude Barbier - ce culte est entièrement construit car, historiquement, on ne connaît vraiment pas grand chose de Marie. Pire, nos évangiles synoptiques nous la montre en total désaccord par rapport au ministère public de Jésus ! (lien). Dans ce culte, nonobstant les contorsions théologiques visant à affirmer envers et contre tout un monothéisme de façade, Marie fonctionne comme une vraie déité ! Rien à voir avec la personne de Jésus, lui aussi déifié et mythologisé à souhait, mais dont on dispose néanmoins des informations d'ordre historique suffisantes pour qu'on puisse reconstituer (tant bien que mal) une partie de sa vie publique.

Roger Gau - Le premier auteur à faire état de l'ascension corporelle de Marie fut saint Grégoire en 594. Saint Serge Ier (pape de 687 à 701) instaure la fête de l’Assomption. Il faudra attendre le premier novembre 1950 pour que le pape Pie XII proclame le dogme de l’assomption de Marie par la bulle Munificentissimus Deus.
Rappel : quant au
dogme de l’Immaculée conception, c’est seulement le 8 décembre 1854 que le pape Pie IX le proclame.

Nadau Brocq - Je crois qu'en dehors des unitariens, les chrétiens sont en fait polythéistes tout simplement. Ils ont besoin de la Trinité, de Marie, des saints qui ne sont guère différents des dieux païens ...

Jean-Claude Barbier - C'est du grand délire métaphysique, sans limite ... Il reste toutefois la co-rédemption que (selon certains) Marie partagerait avec son fils ! Pour l'instant, aucune voix hiérarchique ne va jusque là.

Roger Gau - Je rappelle à ce sujet que le 31 janvier 1985, en Équateur, le pape Jean-Paul II a affirmé : « Le rôle de Marie corédemptrice n’a cessé avec la glorification de son fils. » Quelques mois plus tard, lors de l’angélus du dimanche des Rameaux, place Saint-Pierre il disait : « Puisse Marie, la corédemptrice à qui nous offrons nos prières, faire correspondre généreusement notre désir au désir du Rédempteur. » Toutefois, depuis, aucun pape n'a été plus loin.

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