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Le breuvage qui procure l’extase
Dionysos est le dieu de la vigne et du vin qu’il a apporté aux hommes. Bacchus, son équivalent romain, ajoutera la coupe à boire dans ses attributs. La bière *, puis le vin enivrait le cortège de ménades ** et de satyres qui l’escortaient dans ses déplacements. Au vin, les ménades ajoutaient de la bière additionnée de baies de lierre, toxiques, mais psychodysleptiques à faible dose, ainsi que des champignons comme l'amanite tue-mouches, hallucinogène. Tout excitées, en furie, elles pouvaient alors, dit la légende, déchirer un passant et en manger des lambeaux de chair ! Le musicien légendaire Orphée fut ainsi victime d’elles, démembré et tué.
* les Athéniens buvaient une bière d'épeautre, trágos en grec, qui est une variété de blé dur – du nom scientifique de triticum spelta - où la balle adhère fortement au grain. Le vin était l’apanage des classes aisées. Les « odes à l'épeautre » (tragédies) ont pu être considérées tardivement, par homonymie, comme des « odes aux boucs » (l'animal qui accompagnait le dieu Dionysos et qui est associé au vin chez les crétois). (selon Jane Ellen Harrison, citée par Wikipedia).
** Dans la mythologie grecque, les ménades (en grec ancien Μαινάδες / Mainádes, de μαίνομαι / maínomai, « délirer »), ou bacchantes chez les Romains, sont les accompagnatrices de Dionysos. Ce sont des femmes possédées qui personnifient les esprits orgiaques de la nature. Elles sont souvent accompagnées de satyres, avec qui elles forment le « thiase » (cortège) dionysiaque. Elles sont couronnées de feuille de lierre, portent un "thyrse" (un bâton qui sert de sceptre et qui se termine par une pomme de pin), et sont vêtues de la nébride ou de la pardalide.
Dionysos (avec son thyrse et une panthère à ses pieds), satyres et ménades,
figurant sur un vase grec du IV° siècle avant Jésus Christ, musée du Louvre, Paris.
La plupart d’entre les ménades sont les nourrices du dieu, les nymphes du mont Nysa, auxquelles Hermès avait confié le divin nourrisson. Elles l'escortent, vêtues de peaux de bêtes, en jouant du tambourin et en secouant leurs thyrses, en proie au délire dionysiaque. On désigne aussi par ce nom les participantes des Dionysies, célébrations religieuses athéniennes en l'honneur du dieu. Ces accompagnatrices de Dionysos sont ivres en permanence et portent des tatouages sur le visage en guise de camouflage. Elles ne font pas attention à ce qu'elles font. Elles chantent la joie de chasser les chèvres. Lorsque parfois les ménades deviennent folles, elles n'ont aucune pitié, démembrant les malheureux voyageurs et mangeant leur chair crue (voir notamment Orphée). Leur mois de prédilection est celui d'octobre car c'est le temps des vendanges.
Le délire, caractéristique qualifiante des ménades, n'est pas seulement éthylique. Les participantes des Dionysies consommaient de la bière additionnée de baies de lierre, toxiques, mais psychodysleptiques à faible dose, ainsi que des champignons comme l'amanite tue-mouches, hallucinogène. (Wikipedia, à l’entrée « Ménades »)
Pays méditerranéen, Israël valorise la vigne ; la Didachée (texte chrétien de la fin du 1er siècle) dira éloquemment que le raisin provient du don de Dieu et du travail des hommes. Si Jésus à la Samaritaine parle de l’eau qui donne la vie éternelle (Jn 4, 14), c’est finalement le vin qui va aboutir au rituel chrétien de l’eucharistie. Les noces de Cana préfigurent le kiddouch (la bénédiction juive sur le vin effectué par le père de famille au début d’un repas) qui sera fait par Jésus lors de son repas d’adieu. Jésus aurait alors annoncé que le vin du kiddouch, après sa mort, sera son propre sang selon Paul dans 1 Cor. 15, les évangiles synoptiques et Jean l’évangéliste - mais ce dernier place l’événement plus tôt, lors d’un discours de Jésus à la synagogue de Capharnaüm suite à la multiplication des pains sur les rives du lac du côté de Bethsaïde (Jn 16, 47-59). Dans un discours de Jésus à ses disciples, il comparera le vigneron à Dieu, son Père, lui au cep et les disciples aux sarments (Jn 15, 1-6).
Plus largement, « Dionysos est le dieu de la végétation arborescente et de tous les sucs vitaux (sève, urine, sperme, lait, sang), comme en témoignent ses épiclèses de Φλοῖος / Phloĩos (« esprit de l'écorce ») ou encore de Συκίτης / Sykítês (« protecteur des figuiers »). Il se spécialise ensuite dans la vigne, qu'il est censé avoir donnée aux hommes, ainsi que dans l'ivresse et la transe mystique. Ses attributs incluent tout ce qui touche à la fermentation, aux cycles de régénération. Il est fils de Sémélé, avatar de la déesse phrygienne de la terre, amant d'Ariane, déesse minoenne de la végétation, et le compagnon des nymphes et des satyres [ndlr – lesquels hantent la nature]. Il est également fréquemment associé au bouc et au taureau, animaux jugés particulièrement prolifiques. […] Dionysos, dieu de l'ivresse et de l'extase est celui qui permet à ses fidèles de dépasser la mort. Le vin, comme le soma védique, est censé aider à conquérir l'immortalité. » (Wikipedia).
Dionysos parlant avec Hermès (le dieu du commerce et des voyageurs, porte parole des dieux) ;
un satyre danse à gauche, vase attique, v. 550-520 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen (Munich).
On l'aura compris, il ne s’agit pas de simples orgies, mais d’expériences mystiques. Ceci dit, les dérapages existaient et les pouvoirs publics devaient parfois sévir ; ce que fit par exemple un sénatus-consulte romain en 186 avant J.-C. suite à un scandale retentissant.
A noter que, bien au-delà de la seule vigne, Dionysos charrie toute une ruralité qui aspire à la survie. Les plantes qui, d'une façon toute baroque, ornent ses apparitions déjouent les rigueurs du climat et constituent des exceptions dans la Nature : la pomme du pin conserve ses graines en son intérieur ; le lierre vaut par ses petites baies noires, qui procurent l’extase et qui sont cachées dans un feuillage pérenne ; le grenadier (issus du sang du dieu) donne ses fruits, les grenades, en hiver ; le figuier révèle, là où il pousse, les eaux souterraines et donc les sources possibles. En quelque sorte, la vie interne, immanente.
Des épiclèses, souligne la nature de ce dieu immanent qui irrigue la nature de l’intérieur : Acratophore, celui qui sert du vin pur ; Δενδρίτης / Dendrítês, protecteur des arbres ; Φαλληνός / Phallênós, garant de la fécondité ; Φλοῖος / Phloĩos, esprit de l'écorce ; Συκίτης / Sukítês, protecteur des figuiers ; Ὠμάδιος / Omádios, qui aime la chair crue.
Dans le Prologue de l’évangile de Jean, Jésus, en tant que récipiendaire du Logos, la Sagesse de Dieu, est préexistant à la Création, à laquelle il va présider. « Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu [ndlr : Jésus est récipiendaire du Logos ; il participe au divin]. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être il était la vie … » (Jn 1, 1-4). Mais le christianisme ne va pas exploiter cette fonction d’un dieu qui anime toute la Création, d'un dieu de la Nature, limitant ainsi Jésus au salut des seules âmes humaines.
à suivre