A partir de Damas, la Syrie est évangélisée et l’Euphrate est franchi au niveau royaume d’Edesse *. En 57, le roi d’Edesse, Ma’nu VI y persécute les chrétiens. Les prémisses de l’évangélisation du royaume sont attribués à Thaddée (l’un des 70 disciples de Jésus), sous le règne d’Abgar Ukama (ou le Noir).
* Sanurfa dans l'actuelle Turquie orientale, non loin de la frontière syrienne, à l’intérieur d’une boucle que l’Euphrate dessine au sortir des montagnes, à l’est de ce grand fleuve ; la ville est établie elle-même sur les rives du Daysan.
Vers 204, Agbar IX se convertit au christianisme. Le christianisme syriaque se développe autour d'Édesse et de nombreux monastères sont construits, en particulier celui "de la colline", le Torâ-dOurhoï. Une école de théologie voit le jour. Elle jouera un rôle important au sein de l'Eglise perse (nestorienne). Le Mandylion d'Edesse (lien) est attesté au milieu du IVème siècle par Eusèbe de Césarée (260-339) qui évoque à ce propos les polémiques provoquées par un nouveau culte de l'image du Christ.
Du II° au IV° siècle, le christianisme se répand lentement dans les provinces occidentales, de langue araméenne, de l’Empire perse, où il côtoie le mazdéisme (religion ancienne de la Perse attribuée au prophète Zarathoustra, datant de 1000 ans avant notre ère), le judaïsme (depuis que des Juifs y furent exilés en 721 – toujours avant notre ère - après la prise de Samarie, la capitale du royaume d’Israël, puis en 587 après la prise de Jérusalem, la capitale du petit royaume de Juda, enfin avec les déportations de 582-581) * et le manichéisme (syncrétisme d’inspiration gnostique initiée par le Perse Mani 216-276 après Jésus-Christ)
* l’empereur perse Cyrus (qui défait les Assyriens en 539) permet le retour des exilés en leur pays par un édit de 538 ; mais de nombreux juifs restent sur place, notamment à Babylone.
Une Eglise apostolique de l’Orient se constitue en Perse. En 431, elle ne suit pas les décisions du concile d’Ephèse qui a condamné la thèse du patriarche de Constantinople, Nestorius, lequel défendait la double personne, humaine et divine, du Christ (si bien que Marie est « Mère du Christ », mais non pas « Mère de Dieu »). Elle prend son autonomie sous la direction du catholicos de Séleucie-Ctésiphon (au sud de Bagdad). En 471, l’évêque de Nisibe (ville à l’est d’Edesse), Barsauma, accueille dans sa ville Narasaï, le chef de l’Ecole des Perses d’Edesse qui a été destitué pour nestorianisme. Pendant plusieurs siècles, l’Ecole de Nisibe constituera une pépinière d’hommes d’Eglise et de théologiens pour l’Eglise syrienne orientale. En 484, au concile de Bet-Lapat, la théologie de Nestorius est adoptés officiellement par l’Eglise de Perse et les autres confessions chrétiennes sont bannies par les autorités perses.
Au temps du patriarche Mar Aba Ier (540-552) le mouvement d'expansion s'intensifia et s'étendit sur toute l'Asie. Les missionnaires suivaient les voies tracées par le commerce et les itinéraires des caravanes, principalement de celles qui transportaient la soie et les épices, traversant le Turkestan et la Mongolie, jusqu’à la Chine où leur première présence est attestée dès avant la dynastie T'ang, en 520. Vers l’Ouest, les Nestoriens sont présents en Arménie, en Palestine et à Chypre. Les missionnaires partent également pour la côte Ouest de l’Inde, la région Malabar. Ces chrétiens de l’Inde, qui ont le syriaque pour langue liturgique et qui se disent évangélisés par l’apôtre Thomas, se rangeront aux côtés de l’Eglise de Perse. De là, les missionnaires traversent l’océan indien, atteignent les îles de Bornéo, à Sumatra, à Java, aux Moluques, à la Malaisie, puis remontent le long des côtes en Mer de Chine méridionale.
En 540-545, les Nestoriens sont persécutés par les Perses, et en 609-628 le catholicossat nestorien est vacant, mais les Arabes conquièrent l’Empire perse en 633. Les Nestoriens ont alors le statut de minorités tolérée que les autres « gens du Livre » ; autres chrétiens, Juifs et Sabéens (cités ainsi dans le Coran, et qui sont connus aussi comme Mandéens, puis par les Portugais comme les « Chrétiens de Saint Jean » car ils se réfèrent à Jean-Baptiste).
Leur expansion se renforce et se poursuit sous cette domination arabe, Dès la seconde moitié du VIIe siècle, les tribus tibétaines étaient touchées par l'apostolat des missionnaires de l'Église d'Orient. Le Tibet – en araméen Beth Tûptayé –, a compté au VIIIe siècle un métropolite, avec plusieurs évêques sous son autorité *
* Le patriarche Timothée Ier (728-823) fait mention des chrétiens du Tibet dans une lettre écrite aux moines du couvent de Mar Maroun, en 782. Dans celle envoyée à son ami Serge, métropolite d'Élam, il écrit en 794 : « Ces jours-ci, l'Esprit consacra un métropolite pour les Turcs ; nous en préparons un autre pour les Tibétains ».
Cette présence nestorienne en Chine, jusque dans les sphères du pouvoir, persévère jusqu’au XIV, la dynastie mongole octroyant des privilèges divers aux chrétiens nestoriens. Selon le missionnaire Jean de Plan Carpin et le savant syriaque Bar Hebraeus, l'empereur Güyük (1246-1248) fut même chrétien. Cette influence chrétienne s’étendait jusqu’en Manchourie et en Mongolie orientale où un prince chrétien mit la croix sur les étendards de son armée composée presque uniquement de chrétiens.
Cette stèle fut déterrée par les Jésuites en 1623. La photo de gauche date de 1892 et celle de droite de 1907, source : Wikipedia
Ce christianisme était parfaitement intégré aux cultures locales. Les missionnaires conservaient l'araméen comme langue sacrée liturgique, ils admettaient les lectures et les hymnes dans la langue du pays : il existait des lectionnaires, des chants et des psautiers dans des langues d'affinités différentes, comme le hunnique, le persan, le ouïgour, le turc, le mongol, le chinois et le sogdien. L’alphabet araméen sert de langue graphique pour la transcription de langues locales. En tous cas, les peuples asiatiques ne percevaient pas ce christianisme comme une excroissance de leur corps national. En atteste la stèle de Si-ngan-fou, érigée en 781, dont l'exposé doctrinal chrétien use d'expressions bouddhistes et taoïstes susceptibles de rendre le christianisme compréhensible aux adeptes de ces religions. Des monastères furent construits. L’évêque de Chine fut érigé au rang de métropolite.
La stèle nestorienne de Si-ngan-fou : en haut, écriture en chinois ; en bas, une inscription en syriaque. Source : Wikipedia
La réaction nationaliste en Chine, qui accompagna l'arrivée au pouvoir de la dynastie des Ming (1368-1644) succédant aux Yuan, réduisit toute chance de survie de l'Église d'Orient. Les étrangers furent chassés et tout s'écroula.
Source (et pour en savoir plus) : "De Babylone à Pékin, l'expansion de l'Église nestorienne en Chine" par Joseph Yacoub, professeur de sciences politiques à l'université catholique de Lyon, sur le portail Chine Informations (lien).