par Louis Cornu (suite des articles précédents)
Jn 3, 22-36. Comme il est devenu disciple de Jésus, le Disciple peut avoir participé à l’activité baptismale après Pâque, sous son autorité systématiquement ou épistolairement, si cette activité a duré quelques temps. Jean Baptiste, de son côté, sans doute avec d’autres disciples, continuait à dispenser son baptême, mais avec moins de succès que le groupe de Jésus. Qu’il y ait eu émulation entre les deux groupes n’entraîne pas que ce fut une concurrence querelleuse. Beaucoup plus vraisemblablement, dans un plan concerté de répartition des rôles. Jésus, le Messie attendu est désormais venu à œuvrer à proximité de Jérusalem, au cœur de la Judée, pendant que Jean Baptiste poursuivait sa véhémente prédication eschatologique au bord du Jourdain … et, comme il se doit ; orientait ses auditeurs vers Jésus, l’ « agneau de Dieu » précisait-il. On doit bien sûr qu’en plus de la généralisation de leur baptême – baptême nazôréen ou « baptême de Jean » (du ciel selon Jésus d’après Lc 20,4) – Jésus et Jean Baptiste, chacun de leur côté, développaient une identique prédication associée, celle du Baptiste exposée par Luc (Lc 3, 1-8).
Cette campagne de baptême en Judée prend fin au bout de quelques semaines, assez logiquement, après le départ de Jérusalem, des pèlerins de Savouôt (19 juin 28), qui, libérant en quelque sort les autorités religieuses, leur facilite l’extrême rigueur contre Jean Baptiste, désormais moins entouré.
Voici ce qu’en dit l’historien Flavius Josèphe : « … Jean , surnommé le Baptiste, était un homme de grande piété (…) beaucoup de gens, dans le peuple, le suivaient. Hérode Antipas craignant que son ascendant sur eux n’excitât quelque sédition (…), l’emprisonna dans la forteresse de Machéronte ». Antipas, en l’occurrence, n’aurait eu en vue que le maintien de l’ordre public, dont il était responsable devant l’Empereur, en Galilée et, outre Jourdain, en Pérée. Comme Jean Baptiste se tenait outre Jourdain, son arrestation en Pérée s’accorde bien avec cette logique.
Paradoxalement, l’évangile de Jean nous apprend que pour éviter le même sort que Jean Baptiste, Jésus se retire dans la Galilée d’Antipas : c’était, en quelque sorte, se précipiter dans la gueule du loup. Dans les circonstances où Jésus prend cette décision, ce n’est pas Antipas qui est mis en cause, mais seulement les pharisiens en rapport avec le baptême (F. Joseph, il faut le noter, ne parle pas d’eux). Pour comprendre la logique du processus de la fin du Baptiste, il faut le voir à la lumière du processus qui conduira deux ans plus tard à la condamnation de Jésus : première mesure – une condamnation par le sanhédrin, sous la présidence du Grand prêtre, sur motifs politico-religieux ; deuxième mesure, deux mois plus tard, - utilisation du « bras séculier », Pilate, sur accusation de sédition.
Dans le cas de Jean Baptiste, en 28, il y eut très vraisemblablement une condamnation par le Sanhédrin – sous influence pharisienne – en rapport avec la généralisation par Jean Baptiste d’un baptême de type et d’esprit essénien. Par Nicodème ou par le Disciple, Jésus dut être rapidement informé de cette décision à laquelle Antipas n’avait pas participé, et qui ne l’aurait pas concerné si le Baptiste avait été arrêté par la police du Temple. Jésus, en Judée, risquait d’être appréhendé. Pour éviter cela, il se retira donc en Galilée précipitamment.
Ensuite, peut-être assez rapidement, comme Jean Baptiste était hors de portée de la police du Temple, les autorités religieuses durent demander à Antipas d’intervenir en faisant pression sur lui. Prince juif, celui-ci ne peut éviter de tenir compte d’une décision des chefs juifs de Jérusalem. Il se résoud donc à arrêter Jean, le mettant ainsi hors d’état de nuire, mais il le traite avec une relative aménité (Mc 6, 20). Pendant ce temps, Jésus va se mettre à parcourir la Galilée sans être inquiété. Il évitera d’ailleurs toute provocation car il ne pratiquera plus en public ce baptême « essénien » de Jean, qui inquiétait tant les autorités judaïques de Jérusalem.
C’est parce qu’il était parfaitement conscient de cela que Jésus avait fui la Judée précipitamment, par le plus court chemin : il avait traversé la Samarie par Sichem et il était arrivé à Cana. Il paraît bien que le Disciple fût du voyage car son récit est précis et circonstancié, mais il semble bien aussi qu’il soit revenu très vite dans sa ville, à Jérusalem, et qu’il n’ait donc pas participé à la première campagne d’annonce que Jésus entreprit rapidement en Galilée, dans les synagogues, après l’arrestation de Jean Baptiste (Mc 1, 14 ; Lc 4, 15). Cette campagne est racontée dans les synoptiques (Mc 1, 14 ; Mt 4, 17 ; Lc 4, 15). L’évangile de Jean, lui, n’en dit rien. Le Disciple n’aura donc pas assisté à la rencontre des disciples de Jean avec ceux de Jésus.
Privé de liberté, Jean Baptiste bénéficie donc d’un régime carcéral adouci : Antipas a plaisir à s’entretenir avec lui et, dans sa prison, il reste en contact avec ses disciples. Par ailleurs, il est déconcerté par la tournure qu’ont pris les évènements : alors que normalement Jésus, Messie attendu, devait s’imposer à Jérusalem, voilà qu’il se contente de vadrouiller en Galilée. Est-il vraiment le « messie qui doit venir » ? (Lc 7, 18-35). L’intervention du Baptiste auprès de Jésus en Galilée doit être située en 28, avant la fête de Soukôt (24 octobre 28) car Jésus va monter à Jérusalem pour cette « fête des Juifs » (Jn 5,1). Il n’est d’ailleurs pas encore, personnellement, l’objet de poursuite malgré l’affaire des marchands du Temple, malgré sa participation à l’activité baptismale publique de Jean et malgré l’hostilité pharisienne consécutive qu’il suppute.
à suivre ...